Septembre en attendant

En 1996, Noir Désir chantait Septembre en attendant.

En 2011, comme tous les ans à la même période, j’ai dans la tête les paroles intactes de cette chanson. Elles tourbillonnent telles de petits morceaux de papier crépon guidés par le vent, elles tambourinent aux portes de mes tempes et me persuadent d’entrer avec elles dans leur danse lancinante.

Septembre.

Septembre et ses feuilles mortes, ses cahiers à spirales et ses journées qui cèdent peu à peu leur terrain à la nuit. Encore une phrase sans verbe, ma mère dirait que c’est tout de même honteux qu’avec un graduat en droit on se permette encore de faire des phrases sans verbe, mais que veux-tu maman, moi, j’ai seulement ce qu’on appelle ici l’équivalent du bac. Dans mes narines, l’odeur tenace des trognons de pommes en décomposition semble refaire surface, suivie bien souvent des relents de colle liquide et des vapeurs aigres de la cantoche. J’ai jamais bouffé à la cantoche. J’y ai jamais bouffé, mais j’ai toujours trouvé que ça sentait drôlement mauvais, un subtil mélange de transpiration rance et de dégueulis de poivrot. Et après, on s’étonne que les mômes rentrent affamés à la maison. J’ai une pensée pour le vieux taille-crayons à manivelle qu’utilisait une de mes institutrices pour tuer le temps pendant que nous, les morveux à peine sortis de leurs couches, pataugions gaiement dans la peinture avec nos petites mains. J’ai pas de très bons souvenirs de la maternelle, surtout des odeurs, des images subliminales peuplées d’autres gosses dont les joues étaient barbouillées de chocolat bon marché, et ce coin dodo où personne ne dormait vraiment mais où tout le monde se balançait des coups de pieds dans la tronche. Ce n’est un secret pour personne, je n’ai jamais aimé l’école. L’autre jour dans le bus, j’ai croisé une gamine qui faisait sa première rentrée dans l’école des grands. Elle avait un sac plus grand qu’elle et cette mine à la fois fière et mortifiée qu’affichent les futurs collégiens. Quand elle est descendue, son angoisse m’a replongée dans celle que j’ai ressenti la première fois. Cette sensation inexplicable d’avoir un trou béant à la place du bide et une pelote de laine en travers de la gorge. Sourire. Il faut sourire pour donner l’impression que tout va bien. Même si intérieurement, on se chie dessus, il faut rester digne. Et faire gaffe à la syncope.

Septembre m’a toujours foutu la trouille, c’est le mois où tout reprend, c’est le mois où les bonnes résolutions se voient reportées à l’année prochaine. Septembre m’a cloué les pieds dans l’asphalte une bonne paire de fois. J’ai vu avancer les autres et je suis restée là, au carrefour d’un tas de trucs, avec du plomb dans les genoux, j’ai pas avancé. Parce que j’avais la trouille, et parce que j’avais pas envie. J’ai longtemps regretté, puis finalement, je me rends compte que je m’en fous, je regarde mes pieds et miracle, plus d’asphalte, peut-être que moi aussi, j’ai avancé ?

Septembre, c’est aussi le retour à la vie de tous les jours. Les petits ont repris le chemin de l’école, le soir, ils rentrent et baillent très fort parce que les premières journées de cours sont longues, qu’ils n’ont plus l’habitude, alors, même s’ils feignent de n’être pas fatigués, ils s’écroulent à 21 heures, devant le télé-crochet du moment. Et lorsque les vieux regagnent leur lit, la maison est à nous, seul demeure en fond le murmure de la nuit, mais les crapauds ont quitté le navire, ils reviendront chanter plus tard, quand les beaux jours viendront faire fondre le givre et qu’un été nouveau frappera à notre porte. Le temps passe à une vitesse affolante, au fond de mes tripes, le souvenir d’un bras autour de mes épaules, dans l’obscurité d’une petite pièce à Lunéville est toujours aussi distinct. Deux ans ont pourtant passé. L’automne ne m’angoisse plus, la rentrée ne me concerne plus et j’ai bien assez souffert de la chaleur cet été pour la laisser s’en aller quelques mois sans regrets, comme une vieille amie que l’on est content de revoir, mais seulement une fois par an. J’ai passé vingt ans à avoir la gerbe à l’idée de voir septembre se pointer et pour la première fois, je l’accueille à bras ouvert, les hostilités ont pris fin, gloire à l’âge adulte. Les ennemis de toujours seraient-ils inconsciemment les amis de demain ?

Septembre a frappé à ma porte sans que je ne l’attende vraiment, et pour cause, j’avais pris le large avant qu’il n’atteigne le seuil. J’aurais dû y penser avant, les vacances quasi-forcées en Belgique, c’est la bonne planque pour oublier le temps. J’ai récuré, écrémé, rangé, jeté, réorganisé moult souvenirs, il fallait faire peau neuve, faire bonne impression n’était qu’une excuse parmi tant d’autres pour prendre le taureau par les cornes. Un peu de l’ombre de mon père a disparu dans de grands sacs poubelle verts, je lui ai dit au revoir en balançant un sachet de curry aux ordures, au revoir vieux père, sans rancune, on n’a pas besoin de bouffe périmée pour penser à toi. Il fallait le faire, il fallait déblayer cinq ans de paresse, cinq ans de manque de motivation. La visite de l’oncle du grand nord nous aura fait du bien au fond. Il a emporté avec lui de quoi se remémorer son aîné. Chacun à notre façon, nous faisons le deuil d’un homme qui nous a été retiré trop tôt, il faut du temps, mais la roue tourne et l’ombre s’affadit.

En septembre, Max a soufflé une bougie supplémentaire, sa maman dit qu’il la fait vieillir. Elle se trompe, s’il n’avait pas été là, elle aurait le même âge aujourd’hui. Tous les anniversaires ne sont pas synonymes de fiascos catastrophiques, il suffit de ne pas essayer de s’amuser quand on ne sait pas le faire. Ca a marché, grands dieux (et autres stupides idoles tant qu’à faire, sait on jamais), on a conjuré le sort. Ensemble, on a fait un gros doigt d’honneur au 11 septembre, l’année prochaine au moins, on ne se dira pas « de toute façon, c’est toujours pourri un anniversaire ». Non. Ça peut aussi être une journée parmi tant d’autres, une journée simple avec juste ce qu’il faut de soleil pour rendre à la peau son éclat. On aura pris des trains, dans un sens, dans l’autre, claqué un nombre insensé de thunes pour fuir l’inévitable. Verdict ? On aura appris que l’inévitable peut être évité, et que les sièges des trains nous font de plus en plus mal au cul.

En septembre, en attendant la suite, on prend racine au fond de notre petite chambre en espérant que les choses se figent un peu, que le calme perdure et que personne ne nous déloge de notre cocon. Les hostilités font rage aux portes de nos paupières, mais nous fermons les yeux en espérant les dissuader de nous éveiller à nouveau. Sous mes ongles coulent les mots qui n’arrivaient plus à sortir, et l’interminable liste de toutes les choses positives que j’ai emmagasinées ces derniers jours. Il était temps. J’ai presque envie de sourire, mais j’ai peur de me froisser un muscle, alors je ris avec les yeux, comme l’attestent les rides naissantes qui sillonnent mes tempes.

En septembre, Max et moi on a bravé le réveil à sept heures quinze, les yeux en trou de bite et la nausée matinale pour aller faire un tour du côté du tribunal d’instance d’Orange histoire d’officialiser notre situation. Pas de faire-parts, pas de bagues, on s’était même pas brossé les dents, mais pas besoin d’avoir une haleine fraîche et mentholée pour signer un PACS. Ca, c’est fait. Et maintenant ? Je pense à Florent, à sa grippe et à la nuit des étoiles, j’ai envie de dire « toutes des salopes », mais je me contente de l’écrire, parler, ça assèche la gorge, elle ne le mérite pas.

En septembre, enfin, ce qu’il en reste, je compte rester chez moi et recommencer à sentir l’herbe mouillée le matin, lever les yeux au ciel et suivre les feuilles mortes, toucher de mes doigts les bourrasques, fermer les yeux et renifler à plein nez les vapeurs de vieille colle liquide, de trognons de pommes avariés et de crayon-papier. Et m’en foutre jusqu’à n’en plus finir.

En septembre, en attendant la suite des carnages il se peut qu’arrive la limite.

J’y pense encore, j’y pense.

Lumière sur un personnage secondaire

Je suis une bouillonnante soirée d’été.

Quelques clameurs transpercent le silence d’une chaude soirée, les derniers cris de l’été résonnent dans le noir. Une pleine lune sauvage observe ce petit monde du haut de l’espace. Une minuscule parcelle d’univers pour une poignée d’êtres humains. Une trentaine d’hommes et de femmes se débattent pour exister encore un peu. Le mois d’août arrive au bout de sa course, à bout de souffle. L’automne arrive doucement, à pas de loup. L’été se meurt et les fantômes de cour d’école commencent à hanter les esprits, les échos de bureaux et de chaises bruyamment remués déterrent une anxiété collective. Il faut alors vivre dans l’urgence, faire la fête pour oublier le tintement prochain des cloches. Des gens se sont réunis pour expulser cette angoisse grandissante, ces personnes viennent d’horizons différents. Certains sont déjà vieux, d’autres sont plus jeunes, des enfants animent une portion de décor. Un assemblage hétéroclite d’humanité qui bouge ensemble. La soirée se déroule dans son ampleur languissante. Le repas est achevé, les ventres sont remplis et les esprits se brouillent dans une solution effervescente de fièvre. L’humanité cède le pas à l’animalité, la musique dicte aux plus alcoolisés une gestuelle déstructurée. Les corps se défont de l’emprise rationnelle du cerveau, le désordre primitif gagne les lieux. Les festivités battent leur plein, tout le monde semble s’amuser, se laisser aller. Le temps continue sa route tandis que l’être humain tente de ralentir son avancée, bientôt la soirée devra s’achever. Le retour vers la vie normale est fatidique, les beaux jours sont éphémères par essence. Leur fugacité est magnifique.

Je suis assis au milieu de ce spectacle, quelque part dans cette masse charnelle. Un halo lunaire m’invite à prendre la parole sur scène, comme un projecteur illumine l’acteur de théâtre. Je n’aime pas vraiment la lumière. Je me décale de quelques mètres pour ne pas me retrouver nu au milieu des planches, mis à mal par une dizaine de regards intrusifs. Je retrouve mon spectacle de contemplation avec un plaisir presque maladif, je n’arrive pas à me lancer dans l’action. Alors, je regarde vivre les autres. L’air se fait rare et chaque respiration me demande un effort mesuré, mon corps est une enveloppe suante. Je me sens prisonnier de la chaleur, elle m’enferme dans une torpeur poisseuse et dérangeante. Le chant de la saison sèche se déploie et me cloue sur place, je suis atone, aucune réaction physique. Mes sens sont pris au piège du paradoxe estival, il faut vivre dans cette prison aux vapeurs asphyxiantes. Je dois vivre et profiter de la moindre parcelle de temps, cette phrase circule dans mon esprit depuis le début de la journée. Les vacances sont arrivées, il fait beau. Tout le monde répète cette même litanie : saisis l’instant. Je sais. Je devrais juste me laisser aller, c’est facile. Mais mon corps refuse d’appliquer cette pensée positive. Je saisis l’instant à ma manière, dans tout son ennui et son absurdité. Les soirées organisées me dépriment complètement, je me sens seul au milieu de ces foules furieusement joyeuses. Je suis assis sur une chaise en plastique collant, mon pantalon commence à faire corps avec mon siège de fortune. Je bois une gorgée de bière chaude pour masquer ma gêne, j’espère secrètement faire défiler le temps à la vitesse d’un éclair dans le ciel. Le repas s’est éternisé, je pense être resté à table pendant trois heures. Trois heures de lente agonie ennuyeuse, bloqué entre deux enfants de treize et onze ans, devant une grande-tante ancestrale qu’on a déposé dans le fond du panier, au milieu des invités anonymes. Je suis l’ami de l’ami du cousin truc, pour situer vaguement ma place dans l’organigramme des réjouissances. Je suis le type qu’on ne connait pas, qu’on ne voit pas, qu’on n’entend pas. Les hôtes débarrassent enfin la table, devenue au fil des heures champ de bataille en ruines. Des miettes en pagaille, de vieux bouts de fromage, des taches de vin violacées peuplent une nappe blanc douteux. De la musique s’élève dans l’infinie noirceur de la voûte céleste, j’essaie de prendre un air enjoué. Pour quelques secondes ou minutes, je prolonge  l’illusion. Le son grésille péniblement, le choix musical est de mauvais goût. Des chants espagnols succèdent à d’horribles tubes de l’été oublié, je ne peux pas m’empêcher d’en fredonner certains. Mémoire collective oblige. Je tape du pied nerveusement, je regarde l’heure toutes les cinq minutes. J’ai atrocement chaud, des auréoles s’inscrivent sur ma chemise. Je n’aurais pas dû mettre cette chemise, je ne suis pas à l’aise. Je me sens à l’étroit, coincé dans mes mouvements. Les enfants s’agitent et s’énervent de fatigue, le bastringue hausse le ton. Tout ce tapage sent le camping, le chiotte humide avec son papier-toilettes trop fin, la sueur du mec qui sort en boîte de nuit. Le coup de soleil grinçant. Ces ambiances me plongent dans une profonde mélancolie, je ne sais pas vraiment pourquoi mais la sensation est tenace. La musique, les gens qui dansent, les rires gras me tourmentent depuis toujours. Je ne me sens pas exister dans ces moments-là. Le monde hurle de plus belle, pour mieux me faire taire. Je pense trop, je me noie dans un océan de considérations inutiles.

« Tengo la camisa negraaaaa… »

Un nouveau refrain arrive, fait oublier le précédent. Je porte une satanée chemise noire, une armure sombre. Je regarde le plafond étoilé avec une forme d’admiration craintive. Je suis hypnotisé et aspiré par la grandeur de ce lointain sommet, je n’arrive pas à me décoller de cette vision infinie. L’immensité est à portée de mains. Je lève une main vers le firmament, je peux faire tenir des milliers de kilomètres dans ma seule paume, je soulève une dizaine d’étoiles gigantesques. J’apprivoise la démesure. Le spectacle me laisse béat, j’ai l’air stupide avec mon bras tendu vers le ciel. Ma vue bascule, revient au sol. L’atterrissage est douloureux. Les gens s’entassent de plus en plus, ils remuent l’air de leurs bras, leurs gestes sont saccadés. L’humanité danse, ivre d’alcool et d’envie de vivre. Faire du bruit pour exister et s’octroyer une place dans ce monde trop vaste. Mais pourquoi suis-je venu ? Qu’est ce que je suis venu foutre dans ce traquenard annoncé ? Peut-être pour faire plaisir à un ami ? Je veux me sortir du trou solitaire que je creuse depuis quelques années. Et surtout, je suis guidé par cet espoir fou de la nouveauté, de l’inattendu. Quelque chose pourrait surgir de nulle part, sans crier gare et me happer tout entier. C’est ce que j’essayais de me dire ce matin, pour me motiver et me sortir du lit. Je suis venu chercher ce quelque chose que tout le monde poursuit, cette étincelle qui viendrait allumer nos vies. Mais je ne trouve rien, je me retrouve confronté à mes démons habituels. Je suis l’adolescent ancré sur sa chaise qui n’ose pas inviter la fille de ses rêves, le gamin qui jalouse ses compagnons qui savent s’amuser. Pour l’instant, je suis rongé par mon impuissance et mon immobilisme. Stupide canard boiteux auto-proclamé, je m’en veux. Je ne me sens pas à l’aise dans ce milieu d’animal social, je ne sais pas vraiment établir de contacts avec l’inconnu classique, je me retrouve le souffle court après les premiers mots d’une conversation. Je peux rebondir sur quelques propos, prendre la couleur des murs et donner une réponse attendue. C’est toute l’étendue de mon rapport à l’homme. Je ne sais pas briller en société, j’écoute et je regarde. Je suis le spectateur assis dans le noir.

« Allez viens, fais pas ton coincé ! »

Danser, quelle horreur, non merci. Je refuse poliment et esquisse un sourire décontracté pour sauver la face. Je préfère me plonger dans une étude sociologique et faire des portraits de groupe. Traquer le personnage type, le caricaturer outrageusement et m’amuser un peu. L’assemblée du soir est une mine d’or. Le tonton Machin est sévèrement ivre, il essaie d’accrocher à sa taille tout ce qui ressemble à une personne de sexe féminin. Plus loin, la tante Machin observe son mari d’un oeil sévère. Il prendra un sacré savon demain matin, gueule de bois carabinée à l’horizon. Le coq de la soirée occupe le milieu de l’arène, il combat ses rivaux à grands coups de blagues plus ou moins bien senties et de remarques pas vraiment pertinentes. Monsieur Le Coq en connait un rayon. Sur quoi ? Sur tout et rien, mais surtout sur rien. La politique reste son domaine de prédilection et il aime bien avancer que tel homme politique est une ordure finie. La gauche, la droite et tous les points cardinaux sont passés en revue. J’écoute un monologue quelques secondes et je baille dangereusement. Mon regard se porte ailleurs, je balaie le terrain en vitesse. Un couple d’amoureux chuchote, tient un certain nombre de messes basses. Ils se cachent pour mieux vivre. Des regards en coin s’échangent entre Monsieur et Madame Couple, ils ne peuvent pas communiquer normalement mais se disent une foule de choses en silence. Ils n’attendent qu’une seule chose : le retour à la maison, la vie à deux sous un drap frais et bienveillant. Je continue mon étude de terrain et cherche d’autres Monsieur Anonyme, le monde en est rempli. Il faut examiner les coins abandonnés, les regards perdus dans la foule des pensées. Monsieur Anonyme est une femme ce soir, de longs cheveux noirs et une couche de graisse la protègent de l’extérieur, même si elle ne peut pas éviter les avances foireuses du dragueur exalté par le banquet précédent. Elle décline poliment une invitation à danser et retourne dans son monde de rêveries. Pendant ce temps, le séducteur du dimanche continue inlassablement sa procession. Il passe à la prochaine cible, c’est à dire la femme la plus proche, et tente une approche où les effluves de vin rouge qui sortent de sa bouche font office de repoussoir naturel. Vers cinq heures du matin, il trouvera éventuellement quelque chose qui fera l’affaire. Une amante de fortune dont le sens commun sera endormi sous des litres d’alcool. Les enfants bougent avec moins de force depuis quelques minutes, le poids du sommeil agit efficacement sur leurs paupières devenues trop lourdes. Un petit bout s’est assoupi sous la table, à l’abri du bruit et du mouvement environnant. J’envie ce gosse, je voudrais pouvoir fuir le monde sous un chapiteau de fortune. Un domaine miniature, couvert d’un voile incolore. J’ai sommeil, je suis un morveux qui souhaite enfin dormir paisiblement. Je veux rentrer chez moi, mais je suis coincé. J’ai promis à une connaissance de le ramener en voiture, je suis bloqué et condamné à regarder cette soirée de loin. Je ne peux même pas boire quelques verres salvateurs, je dois faire attention au volant. Je ne suis pas tout seul. Je continue ma visite des lieux, je suis comme un gardien de musée qui observe les créations farfelues de sa galerie et qui tente de les expliquer aux visiteurs du jour. J’essaie de révéler la nature cachée de l’oeuvre d’art observée, car l’homme est une composition terriblement complexe à comprendre. Le monde continue de tourner, la normalité s’installe de partout et s’étend comme une tache d’encre. Des groupes de Monsieur et Madame Normalité se sont formés. Certains osent quelques pas de danse aventureux, d’autres se lâchent complètement et évacuent des journées entières de frustration. Les moins téméraires sont restés attablés, les conversations deviennent plus profondes, des rires s’envolent avec légèreté au-delà des ténèbres. Dans l’histoire, je suis Monsieur Asocial, je n’apparais pas beaucoup dans les pages de ce livre. Je suis un personnage secondaire et je grommelle sur ma condition pendant une moitié de page. Le lecteur m’oubliera vite.

Une main surgit, se pose sur mon épaule et m’extirpe de mes égarements.

« Tu viens ? »

Je n’ai pas le temps de comprendre ce qu’il se passe, mon cerveau ne peut pas découper la situation en multiples lamelles, correctement ordonnées. Elle est là. De longs cheveux blonds, déliés et libres, un bandana prune essaie de contenir une fougue vivifiante. Le reste, je ne me souviens plus vraiment. Des yeux verts captivent toute mon attention, phénomène de persistance rétinienne. L’image de ce regard se superpose à tout le reste, son sourire brille comme ses iris de l’espoir. Je contemple ce spectacle de la création qui m’explose au visage comme un feu d’artifice. Les voyants sont au vert, je cafouille une bouillie verbale qui signifie que je veux bien tenter une danse. Je change de statut, je me lance sous les feux de la rampe et laisse mon costume de personnage caché. Elle me tire par le bras, je sens sa peau pour la première fois. C’est chaud et agréable, je rêve de ne plus me détacher d’elle. Déjà, quelques minutes à peine. Je revis, c’est comme sortir d’une longue nuit cauchemardesque et voir le jour se lever avec soulagement. Je plane totalement, je tourne autour de ma belle inconnue. J’oublie ce que je suis, j’oublie les autres. Je me laisse guider dans ce jeu si nouveau pour moi, je deviens ce gros beauf que je critiquais tant. Je m’amuse, moi, l’éternel introverti. La chaleur est toujours omniprésente, la jolie inconnue prend la forme d’un mirage, je tiens dans mes bras une image de fantasmagorie. Je danse avec mes plus folles espérances. Je prie de toutes mes forces pour que le morceau absolument minable qui tourne en ce moment ne s’arrête jamais, je veux souffler une éternité sur ces couplets navrants. Je m’agrippe à ses vêtements amples pour ne pas la laisser partir, elle éclate de rire et m’embrasse. Je ne partirai pas aussi vite, me glisse t-elle à l’oreille. Son insouciance est déconcertante, elle ne se rend pas compte mais son existence insuffle une bourrasque d’optimisme dans ma poitrine. Je sens mon coeur battre, comme un tambour marteleur possédé. Je savoure l’été qui vit en moi. Je suis intimement convaincu que je passe le plus pur moment d’absolu de toute mon histoire, j’ai enfin mon chapitre dans ce bouquin. J’occupe quelques pages supplémentaires et prie pour que le lecteur ne les tourne pas trop vite. Mes quelques lignes resteront à jamais gravées ici, dans ce moment d’éternité. Le temps ne doit pas avancer, je dois l’arrêter, revenir en arrière pour pouvoir la connaître plus longtemps. Mais j’en suis incapable, je ne peux me contenter que de miettes, je ne suis pas le maître du temps.

Et tout se casse la gueule, beaucoup trop rapidement. Le paradis n’existe que parce que l’homme chute lourdement sur Terre à un moment précis, il symbolise la perte. Il n’est pas fait pour perdurer. La malchance, le destin, la faute. Je ne sais pas comment je dois appeler ce maudit sort qui brise la  plénitude totale. La musique cesse brutalement, des voix se font entendre. Pour pester contre l’idiot qui a bien pu arrêter la musique, tandis que d’autres s’alarment pour quelque chose de plus précis. Un quidam est mal en point, un type a bu une dizaine de verres de trop. Il est proche du coma, de la mort. Je vais l’assassiner c’est certain, il vient de briser cet instant fragile et envoûtant. Ce type est l’ami avec lequel je suis venu, le gars que je suis censé raccompagner. La personne à cause de qui je m’ennuyais depuis des heures, la personne grâce à qui j’ai rencontré mon apparition nocturne. Je suis gentil, c’est un tare handicapante. La mort dans l’âme, je constate que je suis un des rares humains de la soirée à pouvoir tenir dans ses mains un volant. Je ne peux pas laisser ce déchet mourir dans son vomi, même si l’envie est tentante. Je l’escorte dans la voiture. Ma soirée se finit dans une salle d’attente d’hôpital, les heure suivantes je nettoie ma voiture, retapissée par les rejets horribles de mon ami éthylique. Avant de partir, j’ai cherché dans tous les recoins la jeune fille au bandana prune. Personne ne semble l’avoir vue, encore pire : personne ne la connaît. Evaporée dans le souvenir intemporel de cette soirée étrangement magique.

J’ai dansé avec une hippie, je suis tombé amoureux d’elle. Et je ne sais rien à son sujet. C’est à la fois extrêmement beau et pathétiquement triste. La situation est belle parce qu’impossible. J’ai dansé avec un fantôme, une illusion parfaite qui s’est évaporée dans la chaleur de l’été. J’ai cherché la jeune hippie pendant de longues semaines, sondé tous les invités pour les questionner à son propos. En vain. L’automne et ses feuilles orange ont peuplé les allées de jardins tristes. Cependant, le monde extérieur disparaissait à ma vue. Une seule obsession me hantait : retrouver la fille. Mais ce n’est pas arrivé. J’ai même fini par croire qu’elle était une création de mon esprit torturé. De façon rationnelle, je commençais à établir une liste d’arguments sensés qui expliquaient comment j’avais pu inventer une telle histoire. J’étais terriblement déprimé, je manquais de sommeil, la chaleur accablait mes sens. Ajouté à cela, l’absorption de quelques verres et un état de détresse affective intense. J’obtenais par l’amalgame de ces facteurs rigoureusement établis une explication à ce moment de bonheur passager. La seule version logique d’un moment de bonheur était pour moi une nouvelle forme de divagation, une maladie mentale. L’idée qu’une fille puisse vouloir de moi était tellement incongrue à mes yeux que je préférais opter pour la démence passagère. Quelque part, le caractère éphémère de la rencontre me charmait également. La jeune hippie devient sublime parce que son existence est fragile et très temporaire, elle traverse le ciel comme un météore en fusion. Elle s’engouffre dans l’espace pour disparaître en laissant derrière elle une traînée impressionnante, marque de son passage flamboyant. Elle incarne cette force qui surgit de l’inconnu. Souvent, j’ai imaginé des scènes de retrouvailles, je la serrais dans mes bras de toutes mes forces comme dans ces rêves où les morts reviennent à la vie, submergé d’émotions positives. Je me voyais poursuivre nos vies main dans la main. Mais pour quoi faire ? La jeune hippie ne supporterait sans doute pas le pesant quotidien, ces moments anodins. Je me persuadais intimement qu’elle se désintégrerait dans l’ordinaire. Je classais mon amour de vacances dans la catégorie des histoires splendides et violentes par leur rapidité. Une passion soudaine et sans demie mesure, qui n’existe que dans un besoin urgent de vivre. Le chant de l’été, le chant condamné à mort de la cigale. Je tentais de ne plus croire à ce doux rêve pour ne pas souffrir, mais une voix intérieure me poussait à ne pas oublier. L’automne faisait tourner le monde au ralenti. Voila quelles étaient mes pensées en automne.

Je suis un imperturbable matin d’hiver

Je suis au milieu de nulle part, comme souvent. Le silence berce paisiblement un paysage statique, la nature attend patiemment sa future résurrection. Un pâle soleil matinal veille sur son petit territoire. L’espace dont je bénéficie est grandiose, j’ai l’impression d’être le dernier homme sur Terre. Un si grand morceau de terre est à la disposition d’une si petite personne. Je m’incline devant l’astre du jour par respect, il m’éclaire de sa lumière revigorante. Je marche lentement pour évacuer mes pensées persistantes, je souhaite voir le vide s’installer en moi et dans toutes les choses de ce monde. Ne plus exister et fusionner avec un ensemble supérieur, dépourvus de nos plus grands tourments. Une coquille indestructible pour nous protéger des nos états d’âme. Le mois de janvier se déploie lourdement dans l’espace et ne souhaite plus partir, il aime faire durer les choses. Tout doucement, dans le froid d’un hiver sans fin. Le printemps attend patiemment son tour, sous le sol. J’erre au milieu de ce tableau enneigé, je suis revenu sur le lieu de la rencontre. Dans l’espoir de voir quelque chose de nouveau, encore. Comme toujours. Mais je ne vois rien du tout, je me souviens de mon ennui et de la musique lancinante. Le terrain est devenu vague et j’ai du vague à l’âme. Triste de voir que tout a disparu, même mon souvenir de la jeune hippie. Aujourd’hui, je ne possède plus que le vert de ses yeux, le reste s’en est allé. Foutue mémoire humaine, je me souviens de mon repas ce soir-là mais je ne peux pas visualiser son visage avec précision. Je scrute la toile de fond de cet endroit, la neige a tout englouti, tout est devenu blanc. Le blanc de l’absence, de l’anonymat et de l’oubli. Je continue ma marche dans la neige, mes empreintes se marquent fermement dans la neige, pour matérialiser ma présence. Je suis réel, je laisse une trace quelque part. J’avance à pas prudent dans le froid, mes pieds sont humides parce que je porte des chaussures trop légères. Pour ne pas trop peser au sol. En hiver, les choses deviennent immobiles, on peut alors les observer avec plus de précision, plus longuement. Je peux appréhender ma vie future avec calme et sérénité, je ne sais pas où je me trouverai dans quelques années, mois ou semaines. Je sais que j’avancerai toujours avec cette soirée estivale dans un recoin de mon esprit, que j’érigerai comme un sanctuaire. Je m’assois sur une pierre confortable : l’horizon est dégagé, la vue est limpide. Le panorama qui s’ouvre devant moi est démesuré, je peux contenir une masse géographique dans un rapide coup d’oeil. Je ne suis même plus l’acteur de second plan, je suis le gars qui vient balayer la scène une fois que les acteurs ont récité leurs partitions. Je viens m’assurer que tout tourne correctement, que les mécanismes du monde sont toujours bien huilés. J’attends de retrouver l’actrice principale, la jeune hippie, pour lui témoigner toute mon admiration. Elle tenait un rôle magnifique l’été dernier. Le monde trouve une signification dans cette quiétude harmonieuse.

Une main m’accroche à nouveau l’épaule, je trésaille de tout mon être.

Je ne sais pas si je dois me retourner. Je ne dois peut-être pas me tourner, si je regarde en arrière, cette présence réconfortante risque de s’évanouir. Si j’ose l’apercevoir, même du coin de l’oeil, son image deviendra obscurité pour toujours. Je panique, je suis rongé par la curiosité et par mon désir de la rencontrer à nouveau. L’envie de la retrouver et plus forte que tout. J’ose changer mon axe de vision. C’est elle, la jeune hippie. Elle porte un capuchon rouge, des cheveux ébouriffés demandent à prendre l’air au plus vite, comme pour me rejoindre. Un regard rieur et apaisant transperce le mur de neige qui tombe sur nos têtes, la blanche neige devient prairie verte au contact de ses yeux. C’est une déesse, une apparition, une entité onirique. Je ne sais pas comment je dois l’appeler. L’esprit des quatre saisons ? La force de l’hiver et la beauté de l’été condensées dans une seule personne. Elle se tient devant moi maintenant, un lien étrange nous relie l’un à l’autre. Les traits que j’avais oublié se redessinent devant moi, comment avais-je pu l’oublier ? Il neige abondamment, la terre dort sous un chaleureux manteau de neige, comme l’enfant dormait sous la table à la nappe blanche. Je suis cet enfant endormi délicatement, sourire en coin vissé sur la joue droite. Des flocons de neige recouvrent nos visages et nous mettent à l’abri de toutes les menaces possibles. La vie prend forme sous ce manteau rassurant, un sentiment est en gestation et ne demande qu’à exploser au printemps prochain. Nous marchons main dans la main, la mousse glacée crisse sous nos pieds. Sa main est toujours chaude, même en hiver. Je suis exalté comme un gamin qui découvre la première neige de sa vie, je suis empli d’enthousiasme et me sens capable de parcourir le monde de la sorte pendant une éternité. La neige est magique pour l’enfant candide, elle est exceptionnelle car elle peut laver et changer les choses. Tout peut recommencer sur de nouvelles bases, avec une nouvelle teinte. Je suis prêt à revivre, je m’en sens capable. Nous nous regardons pendant de longues minutes, sans mots dire. La scène est vide, personne ne vient nous souffler nos répliques factices. La vérité à l’état brut. Le vent pousse la main de la jeune hippie vers la mienne. Elle sourit calmement et me souffle dans un murmure intelligible :

« Et bien, dansons maintenant »

GUESS what ?

L’argent c’est cher, on ne le dira jamais assez !

Aujourd’hui, le tonton Carmelo a amené Sarah faire les boutiques pour son anniversaire. Elle est revenue les bras croulant sous les paquets, un grand sourire aux lèvres, voilà qui fait plaisir à voir. Elle a jeté son dévolu sur un tas de trucs plus ou moins utiles allant de la boule à facettes miniature à la paire de tongs en plastoc (taille 38, même que maman elle flotte dedans) en passant par ces incontournables culottes Freegun 100% synthétique que s’arrachent les jeunes z’à la mode. Mais ce n’est pas tout, Sarah a aussi ramené un t-shirt de marque un peu chéros. C’est cet élément qui a fait basculer la fin de ma journée, parce que ces temps-ci, les fringues hors de prix reviennent un peu trop souvent sur le tapis à l’heure des repas, et qu’à force, je commence à le prendre un peu perso.

Comme souvent, l’heure sacrée du goûter a été perturbée par le monde extérieur : un téléphone portable qui ne veut pas fonctionner, un ordi à mettre en route, et les gamins qui rôdent de partout en parlant de yéti et de soupe sans se poser trois minutes. C’est que ça va finir par me filer des gaz de prendre mon goûter dans cette baraque de fous, essaye, toi, de t’asseoir à une table et de bouffer tranquille un fruit en sirotant un coca zéro avec tout le monde qui s’agite autour de toi, et d’essayer de ne pas roter bruyamment parce que ça ne se fait pas. Ben le résultat est là, je suis comme un bébé qui vient de téter, j’ai besoin de lâcher de l’air, sauf que ça veut plus là ! Enfin, je ne m’éterniserai pas sur mes éternels problèmes digestifs en tous genres, paraît que c’est pas très féminin d’avoir des gaz, paraît même qu’on appelle ça des ballonnements. Bref, entre deux bouchées de poire à la flotte, Adèle a débarqué sur la terrasse en tenant le scoop de la journée. DSK est en fait une femme ? Non, rien de tout ça, plus grave, bien plus grave. Vous devinerez jamais le prix du t-shirt de Sarah ? Oh mon dieu cher, cher, argent. Max a joué le jeu, il a tapé juste, le t-shirt du jour affiche deux chiffres au compteur, DEUX chiffres, alors qu’à Gifi on peut en avoir trois pour 4,95€ le lot, tu te rends compte ? Alors oué, je me rends bien compte, je fais profil bas, je regarde mes pieds, chaussés de tongs en cuir véritable. Merde du cuir véritable, alors qu’ils en font en simili plastoc imprimé python pour seulement 1,50€ à Mac Dan ? Merde alors, si j’avais su ! La prochaine fois, j’y penserai.

C’est vrai, je suis une incorrigible snobinarde accro aux fringues et aux chaussures hors de prix. Je suis tout à fait consciente de la futilité de la chose, je l’assume totalement. Enfin, pour être honnête, je l’assume de moins en moins depuis que je vis ici. C’en est au point que j’ai honte de recevoir des colis à mon nom. Bien sûr, personne à l’exception de mes proches n’est au courant du prix de mes vêtements, ni du nombre de paires de chaussures qui traînent dans mon dressing, je n’oserais même pas aborder la chose dans une conversation banale, de peur de passer pour une véritable malade mentale. Tous les jours à table, j’entends parler du prix de tel ou tel machin, totalement indispensable et surtout pas cher, comme le nouvel ordinateur portable pour que la gamine qui remplace Jean-Baptiste puisse chatter sur Facebook toute la nuit ou le barbecue au gaz qui est venu se placer à côté du vrai barbecue en briques (on ne sait pas vraiment pourquoi). La bonne affaire du jour s’est même invitée aux chiottes, depuis six mois maintenant, nous avons droit au papier cul simple épaisseur où tu te mouilles inévitablement les doigts en essayant tant bien que mal de te torcher. Et même ça je m’en branle, je fais avec, avec le jambon discount dégueu beurk garanti 100% véritables morceaux de cartilage et les nouilles trop cuites qui collent à la fourchette, je vis très bien au pays des gentils prolos économes. Seulement j’en ai plein le fion d’entendre les mêmes litanies sur le pognon et les gens qui sont tellement bourges (attention, l’insulte suprême) qu’ils vont en vacances une fois l’an dans des pays étrangers. Au bout du compte, je me dis que je suis hyper trop méga bourge avec mes pompes en cuir et mes parents qui m’ont refilé de l’argent de poche. Ouais je suis une nantie, un peu plus et je pourrais crécher à Neuilly avec mes potes les bobos qui dépensent des euros dans des drogues hors de prix genre cannabis, tu vois ?

« Emma je l’aime bien, mais c’est trop une bourge tu vois ? ». Mhh, oui, je vois ! Emma a un jacuzzi et a eu la chance de voir un concert des Pussycat Dolls à New York, non, je n’extrapole pas, c’est la stricte vérité. Est-ce que ça fait d’Emma une personne moins fréquentable que Maëva, dont la maman a du mal à payer son chauffage ? J’ai bien envie de vous dire que non, mais ça n’engage que moi. J’ai pas vraiment envie de débattre, c’est pas mon fort, les débats. C’est juste que ça me blase, et que je finis par avoir honte de claquer du pognon en fringues, ces trucs inutiles en tissu qui couvrent des parties de ton corps pour en épargner la vue aux prudes passants (et accessoirement te réchauffent, mais en ces temps de canicule, ne le nions pas, on préférerait se balader à oilpé). Oui, je dépense des sommes qui paraissent folles au commun des mortels pour me faire plaisir, j’ai un sens des priorités un peu étrange, mais comme je n’aime pas la bouffe, je compense comme je peux. Seulement à côté de ça, je ne passe pas ma vie à acheter des sapes, je n’ai ni voiture, ni enfant, je n’ai pas besoin de grand chose, juste de me sentir moins laide quand d’aventure je me croise dans un miroir. Et oui, j’ai trois sous de côté, j’ai eu la chance d’avoir une grand-mère financièrement à l’aise qui a épargné et investi toute sa vie pour subvenir aux besoins de sa famille, une mère en or qui préfère me donner de son vivant plutôt que de me faire raquer des frais de notaire quand son heure viendra. J’ai trois sous de côté et je les gère très bien, je ne fais pas n’importe quoi avec mes thunes, et quand bien même d’ailleurs, ça ne regarderait personne. Ce que j’ai souvent envie de dire, c’est que je ne fais de mal à personne avec mes fringues trop chères et qu’être bourge ne devrait pas être une insulte. Qu’on ne devrait pas juger une personne sur ses possessions matérielles ou sa situation sociale, qu’encore une fois, on devrait passer plus de temps à discuter, à apprendre à connaître les gens avant de s’en faire une idée négative sous couvert de « nous n’avons pas les mêmes valeurs ».

Le t-shirt de Sarah est cher, c’est un fait, et c’est con, ça a bousillé la fin de ma journée. Pour son anniversaire, je voulais lui faire plaisir et lui offrir un truc de fous, mais j’ai pas osé parce que je ne voulais pas passer pour la petite bourgeoise futile qui achète les gens avec des cadeaux onéreux. Alors, j’ai tapé dans le milieu de gamme en me bouffant la langue et en réfrénant mes envies, et voilà que ça me laisse un goût amer. J’ai parfois du mal à me positionner, je ne voudrais pas blesser qui que ce soit avec mes habits coûteux. Mais je voudrais pouvoir partager mes trouvailles sans me prendre d’emblée un « et t’as payé ça combien ? » qui me renvoie plus bas que terre et qui donne de moi une image de panier percé fashion-victim. Alors encore une fois, je vais essayer de prendre ça avec un peu de recul et me dire qu’il y a pire dans la vie qu’une histoire de priorités, que je ne suis pas plus mauvaise parce je préfère acheter un t-shirt à deux chiffres plutôt que quinze à un chiffre et que personne ne m’en voudra pour ça parce que le monde est beau et que la vie l’est aussi (surtout sur France 3 vers les 20 heures).

A propos, je vous ai parlé de ma merveilleuse paire de pompes à 230€ à la place de 260 ? Une affaire !

Le coloc qui n’aimait pas les gros

« Je déteste les gros »

Je reste un peu sans voix, Kebab me regarde du coin de l’oeil et sait que je trépigne en silence. La phrase est sortie de façon si naturelle que je n’ai même pas su comment réagir, j’ai même cru à une mauvaise blague. La provocation un peu gratuite. Mais pas du tout, l’affirmation est défendue avec un aplomb parfait, revendiquée et vivement approfondie.

- Petit flash-back comme dans les séries pour comprendre qui est à l’origine de cette phrase -

Il faut revenir quelques jours en arrière, nous sommes encore en Bretagne. Nous passons un séjour vraiment agréable, heureux de goûter aux plaisirs d’un appartement silencieux, d’un canapé-lit étonnamment confortable et aux petites attentions de notre hôte breton. Le Baileys de l’après-midi me manque déjà. Arnaud vit en colocation avec un jeune travailleur, assez discret. Tout ce qu’on savait de lui c’est qu’il était du genre solitaire et enfermé dans sa chambre. Le type de créature nocturne qui fait de sa chambre un antre infranchissable, avec des remparts insurmontables nommés World of Warcraft ou Street Fighter IV. On était relativement curieux avant de partir, soucieux de voir à quoi ressemblait le coloc énigmatique. De mon côté, je m’étais construit l’image d’un garçon un peu lunaire, avec des lunettes modernes à tendance branchouille-hype, qui s’habille en short et chemisettes à carreaux. L’archétype du geek un peu sauvage mais pas mauvais bougre dans le fond. Nous sommes arrivés le premier soir assez tard et nous n’avons donc pas croisé le fameux colocataire. Notre premier contact avec l’inconnu de la chambre s’est noué dans la salle de bain, une rencontre avec une pile de pots de gel. Entassés les uns au dessus des autres comme les cubes de notre enfance. Quelques pommades sont disséminées aux quatre coins de la pièce. Il n’a pas fallu longtemps pour que l’inspecteur Max et le détective Kebab arrivent à certaines conclusions : le coloc mystère est un gros geek à tendance métrosexuel. Drôle de mélange mais l’espèce est assez courante, on croise pas mal de spécimens du genre chez le jeune mâle actuel. Pas la peine de prendre une douche tous les matins, un passage sous l’eau tous les trois ou quatre jours est suffisant. Par contre, il ne faut pas oublier de se mettre la tartine de gel sur la tête le matin, question de priorités. Je peux comprendre la logique, même si le débit du pommeau de douche chez Arnaud est assez proche de la perfection et que personnellement je ne me priverais pour rien au monde de ce petit moment divin. Surtout qu’entre-temps, je suis revenu à la vieille douche familiale et son jet tout ramoll’eau.

Notre deuxième contact avec le colocataire de l’ombre s’est aussi produit de façon indirecte. Nous sommes le lendemain matin, quelque part autour de dix heures du matin. Le soleil passe aisément à travers les stores et éclaire toute la pièce d’une lumière rassurante, je dors vaguement. Une moitié dans le monde réel, une autre moitié dans le monde des songes. Soudain, boum boum badaboum, bruit de pas qui filent dans la hâte, clé qui tourne dans la serrure. Le colocataire sort en vitesse de l’appartement, il est probablement en retard. Et pas qu’un peu, vu qu’il est dix heures bien tapantes. Notre seconde rencontre avec le coloc fut auditive. Une partie tord-méninges de Ricochet Robot et quelques attaques fourbes à Munchkin plus tard, le colocataire revient du travail. On peut mettre un physique sur le point d’interrogation : un type qui a l’air sympathique et posé. Plutôt grand à tendance maigrichon qui porte des vêtements un peu larges pour cacher sa finesse. Le mec se la joue cool, le revendique peut-être un peu trop pour l’être totalement. Je me méfie toujours des personnes qui se donnent une contenance zen peace de la life brother. C’est ceux qui peuvent potentiellement péter un énorme câble du jour au lendemain, sans crier gare.

« Bonjour, je suis décontracté, je fume des pétards toute la journée dans ma chambre, je regarde des vidéos de Street Fighter toute la nuit »

Okay man, n’en parle pas autant et fais tourner moi je dis. Le gars m’a fait une première impression sympathique. Pas le genre avec qui j’irais refaire le monde toute la nuit, mais agréable pour les cinq minutes communes passées ensemble dans le salon à parler de choses et d’autres. Honnêtement, je ne l’avais pas vu venir, même si avec le recul une pointe de psychorigidité pointait le bout du nez. Toujours faire attention au psychorigide, ça peut vite tourner au conflit armé si quelque chose ne tourne pas dans le sens de la marche. Une autre journée s’achève, Arnaud est parvenu à conquérir le monde (tout ? trop !) petit de Small World, le colocataire repointe le bout de son museau. Tee-shirt DC et veste large à l’appui, le monde est cool t’as vu, détendu du spliff. Du coup, j’ai baissé ma garde, je me suis laissé bercer par l’esprit pacifiste, je croquais dans mes apéros au wasabi  en toute quiétude. Je n’ai même pas vu le coup partir, uppercut placé sous le menton :

« Ouais sérieux, je déteste les gros »

Le coloc nous lance ce truc à la gueule avec désinvolture, petit sourire en coin. Il pensait peut-être qu’on allait rebondir et commencer à taper joyeusement sur le gras des obèses. Le problème c’est qu’il s’adressait à deux anciens gros, forcément ça ne passait pas trop. J’ai commencé à grossir sur la fin de mon enfance, au début de mon adolescence. J’ai minci à la fin de mon adolescence, au début de l’âge adulte. Un tiers de ma vie, j’ai été gros. Et dans ma tête, je suis toujours le gros qui regarde son bidon, en slip dans la salle de bains, et qui constate encore que ça déborde de partout au dessus de l’élastique du slip. Aujourd’hui, je peux dire que j’accepte mon corps, que j’ai fait la paix avec lui. Mais l’équilibre est toujours fragile et ce genre de remarques faciles qui tapent sur le petit gros me font bondir. Ce jour-là, devant le colocataire, je me suis contenu, j’ai écrasé. Comme le petit garçon baisse les yeux quand le balourd du collège te balance une insulte à base de porcs ou de vaches. Je ne suis pas le pire dans l’histoire, j’ai grandi relativement épargné des moqueries enfantines. Bien sûr, j’ai eu droit à ma dose de remarques bêtes et méchantes. Je suis un gros, je sais merci. Un autre était petit et maigre, un autre était trop bizarre pour être populaire; c’est comme ça personne n’est assez normal à l’adolescence. On est beaucoup à sortir du cadre. Tout le monde a eu sa dose de mal-être et de moqueries. Enfin je crois, certains ont sans doute été épargné dans le tas, les gens populaires et dans la norme. La norme ce costume trop serré. J’arrivais à surmonter les moqueries très facilement, d’ailleurs j’ai du mal à m’en souvenir avec précision maintenant. J’arrivais à m’en sortir très convenablement, sans être dans les canons de beauté de l’époque. Apprendre à composer avec soi-même et jouer avec ses qualités, règle numéro un de mon cheminement intérieur adolescent. Le gras ne fait pas l’homme, j’ose encore le croire. Finalement, ce qui reste de ma période gras double, ce ne sont pas les moqueries mais plutôt les remarques ou attitudes en apparence anodines de gens extérieurs. La grand-mère qui te faisait toujours remarquer ton embonpoint et te suggérer de changer, le prof de sport qui te méprise parce que tu galères un peu, la tante qui te fait comprendre que tu valais rien avant quand t’étais gros. Pourtant c’est toujours la même personne à l’intérieur, je ne vaux pas mieux sans ma graisse et je crache toujours mes poumons quand je cours.

Le gros me regarde toujours de l’autre côté du miroir.

Alors quand j’ai entendu le coloc dire qu’il exécrait les gros, je me suis repris le mur de Berlin de toute mon adolescence, cette opinion générale qui dénigre le poids lourd. Ce putain de mur, celui que j’avais réussi à casser à grands coups de marteau, brique par brique. Kebab a bien vu que le sujet pouvait me faire basculer dans l’agressivité alors elle a pris ma défense l’air de rien, elle a tenté de débattre avec Monsieur les obèses n’ont pas le droit d’exister. Comme si l’obésité était injustifiable et méritait l’euthanasie directe et instantanée. Les gens qui attaquent l’obèse ne font pas avancer les choses, ils les font reculer chaque fois plus avec leur stupide intolérance. Ils enfoncent le gros dans sa prison de gras, ils lui mettent un pied sur la tronche et creusent son trou. Je suis resté sans voix devant cette haine primaire, le type obèse serait méprisable parce qu’il choisit de rester dans son statut de personne hors-norme ? Les choses ne sont pas aussi simples, on ne choisit pas vraiment je pense. La bouffe est une forme de drogue quelque part, on ne fait pas déguerpir le gros qui vit en nous d’un simple claquement de doigts. C’est une longue route initiatique, une lourde croix qu’on porte toujours sur nos épaules. Je ne suis plus gros depuis des années mais je considère le gros comme la partie la plus profonde de mon être, la plus authentique. Maigrir constitue une forme de perte d’identité, on choisit d’abandonner le gros au loin. Pour perdre du poids on choisit de cacher l’ami bedonnant dans le placard, avec les fringues devenues trop grandes. On ne lui dit pas totalement adieu. On essaie de l’oublier, mais c’est difficile. On aime la bouffe fondamentalement, la nourriture est cette amie qui nous réconforte le soir. On la déteste aussi, elle alimente notre malaise fondamental. Je ne sais pas pourquoi le gros dérange à ce point certaines personnes, sûrement parce qu’il projette cette image de mal-être. Grosso modo, l’obèse n’a alors qu’une seule alternative : changer, faire disparaître cette enveloppe corporelle perturbante. Cette dégueulasserie de la société. Cette loque humaine qui ne cherche même pas à changer cette aberration. Et le coloc me disait tout ça, lui qui fumait ses cigarettes allégrement et qui se vantait d’allumer des pétards à longueur de journée. Est-ce qu’il se bouge pour arrêter de fumer lui ? Parce que dans le genre, c’est guère mieux pour la santé. Mais le fumeur agresse moins l’oeil, il ne franchit pas la ligne rouge de la normalité actuelle. Alors que l’obèse n’est qu’une grosse vache à sacrifier sur l’autel de la société moderne. Mort aux pachydermes. Je ne veux pas d’une génération de pachydermes. Attention, je n’encourage pas l’obésité, ce n’est pas le propos de mon article. Moi aussi, comme le coloc, je ne souhaite pas que mes enfants soient obèses. Je ne les dénigrerais peut-être pas pour autant si cela se produisait. Et plus la discussion avançait plus je restais bête devant l’acharnement de ce type, tous les débats que j’ai eu avec le Kebab défilaient devant mes yeux. Toutes ces fois où j’essayais de la convaincre (vainement) que tout le monde ne dénigrait pas les gros, qu’il y avait une place pour tout le monde dans la société. A côté du ventripotent et du fameux mannequin trop mince de magazine. Quelques mots du coloc et le château de cartes s’écroule. La juste mesure est balancée dans les douves, les crocodiles la bouffent avec délice.

Le coloc ne se doute de rien, il a nous a bien sonnés pourtant. On est partis prendre une douche dans la foulée, comme pour se laver des mots qui nous avaient intimement salis. A la fois abasourdis et révoltés par ce qu’on venait d’entendre. Je constate un peu amèrement que le monde ne changera pas du jour lendemain, mais je continuerai de construire des châteaux en Espagne. Eternellement.

 

En attendant l’automne

Dès sept heures du matin, le soleil entre en force dans la chambre, se frayant un passage à travers le fin rideau jaunâtre qui n’a d’utilité que celle d’empêcher aux cauchemars de pénétrer notre nid. A côté de la porte d’entrée, le thermomètre affiche 27°, pourtant, la fenêtre est restée ouverte toute la nuit. Ce soir, on peinera à maintenir la température en dessous de 30, il nous faudra quitter la chambre, éteindre les lumières, les écrans, allumer le ventilateur et attendre que la nuit tombe pour pouvoir regagner notre lit dans l’espoir de pouvoir passer une nuit agréable. Les enfants passent leur temps à tourner en rond entre leur chambre et la piscine, ils sont bronzés, mais ils s’emmerdent, la mi-août a aussi frappé à leur porte, tous les évènements attendus sont derrière. Les travaux de peinture sont terminés, l’anniversaire de Sarah est passé et la sortie annuelle à la mer a été expédiée hier après-midi. Robert tourne à peu près autant que les mômes, trois semaines à se lever à neuf heures, ça vous change un homme. La table est dressée, c’est l’heure des tartines à la confiture et du thé matinal, Adèle prend la parole : il fait chaud !

C’est un fait, l’été aura mis le temps à s’installer, mais il est bel et bien là, avec tout son soleil qui pique et ses après-midi étouffantes. Et tout le monde, absolument tout le monde s’en plaint, il fait vraiment trop chaud. On se dit qu’on a été cons de ne pas profiter un peu plus du mois d’avril, on attend même la rentrée avec impatience parce que le rythme estival ne nous convient pas tant que ça. Déjeuner à 14 heures et se démerder le soir, voilà le programme bouffe de ces dernières semaines, pour le reste, les après-midis se suivent et se ressemblent : on tente de s’occuper comme on peut sans trop bouger histoire de ne pas se mettre à dégouliner de partout dans nos fringues. Quant aux soirées, on les attend dès le réveil, nos soirées, on les passe dehors avec nos consoles portables, nos romans, nos coussins anti-maux de fesse et nos moustiques affamés. A l’extérieur de notre cocon, les gens sont pas beaux, ils puent la sueur rance et leurs visage rougis et luisants les font ressembler à des cochons de lait à la broche. Les hommes ont les genoux à l’air, les femmes exhibent leurs capitons, tous essuient les gouttes qui dégringolent de leur cuir chevelu en maugréant : il fait chaud !

Comme tout le monde, je m’en plains, je bois des litres de flotte et passe mes journées à pisser. J’ai pourtant toujours clamé haut et fort que l’été était ma saison préférée, j’aime l’été, oui, mais en Belgique ! Evidemment, comme je suis photo-dépressive, j’ai plus de pêche qu’en hiver, j’aime regarder le soleil se lever, j’aime passer mes nuits dehors à refaire le monde encore et encore, j’aime la caresse du soleil sur ma peau. Seulement, je n’aime pas les coups de soleil, les cheveux qui blondissent et deviennent tout mous et ingérables, la peau qui vire toute rouge et collante, les mollets qui gonflent, les heures passées à m’épiler pour ne pas effrayer les enfants. Mais ce que je déteste par dessus tout, c’est m’habiller le matin. Je n’ai jamais été amatrice des collections printemps/été, je leur préfère les tenues automnales à base de subtiles superpositions. Chaque matin est un dilemme, une interrogation métaphysique à base de : est-ce que je prends le risque de mettre ce truc léger tout en sachant que je ne pourrais pas me regarder en face de toute la journée ou est-ce que je suis capable de supporter la chaleur et de mettre un pull et un pantalon ? L’été, c’est une demi-heure par jour de perdue à scruter mon dressing à poils sans oser passer une robe. J’aime les shorts et les jupes, mais seulement en hiver, quand on peut les agrémenter d’une jolie paire de collants en laine. Passer une journée d’été à être confrontée aux imperfections de mes jambes me déprime profondément, mes jambes sont blanches, poilues, pleines de vergetures et légèrement grassouillettes, beurk. Mais ce n’est pas le pire, non, le pire, c’est les hauts sans manches : je déteste ça, surtout les t-shirts basiques, vaguement moulants qui ne mettent en valeur que ce que j’ai envie de faire disparaître : mes seins. Sans pouvoir les planquer sous un pull extra large, je suis perdue, d’ailleurs, même cachés, je n’en suis pas débarrassée pour autant, je me trouve énorme dans la plupart des hauts, qu’ils soient étroits ou larges. La seule chose qui fonctionne : la superposition t-shirt/gilet, autant dire qu’en été, c’est pas évident à moins d’être masochiste. L’ennui, c’est que quoi que je porte, je me retrouve confrontée à ce problème de seins qui prennent trop de place, exit les 3/4 des robes, exit les petites blouses vaporeuses, exit les chemises qui ne ferment pas alors qu’elles baillent partout ailleurs, exit les fringues d’été en gros.

Depuis quelques semaines déjà, la nouvelle collection a fait son entrée dans les boutiques pour mon plus grand plaisir. Depuis le début du mois d’août, je passe des heures à concocter mes looks de la rentrée, je rêve de pulls informes, de pantalons en tweed et de chaussures montantes (celles qui me connaissent un peu peuvent se gausser de m’imaginer chaussée de tongs depuis trois mois). J’ai conscience du caractère particulièrement ridicule de la situation, mais je suis une fille tout ce qu’il y a de plus futile qui assume complètement ses travers féminins. Le gros problème, c’est que je sais pertinemment que l’été représente la moitié du temps dans mes sudistes contrées, que j’aurai très peu d’occasions à l’avenir de porter des vêtements très chauds, mais rien à faire, je suis attirée vers le côté obscur de la sape. Cette année en plus, le marron, l’orange, le sable et le rouille font leur grand retour et je me fais une joie de m’imaginer vêtue d’un immense poncho cache complexes. Il y a deux jours, j’ai déjà commencé à arpenter les magasins à la recherche de quelques pièces pour l’automne, et j’ai trouvé mon bonheur ! L’incontournable chino gris-brun agrémenté de jolies bretelles s’est fait une petite place dans le bordel incommensurable de mon placard, il a été rejoint quasi instantanément par un petit pull gris-souris basique tout doux et deux machins sans manches aux couleurs d’octobre, un haut tout simple couleur rouille avec des petites fronces sur le haut des épaules et, un peu le cul entre deux chaises, un débardeur en jersey à col roulé XXL. Mais ma boulimie vestimentaire n’est pas encore arrivée à satiété, et c’est comme une junkie que je dévore mes quelques sites phares à la recherche de nouveaux vêtements.

J’ai déjà jeté mon dévolu sur quelques pièces, le tout sera de faire un choix, que c’est cruel, il me reste jusqu’à ce soir 20 heures pour profiter d’un code de remise de 30€. Je pense que je vais craquer sur les chaussures, en gros ce dont j’ai le moins besoin pour le moment, seulement, il reste tellement peu de paires que j’ai peur de les louper, idem pour le pantalon, il ne reste plus qu’un seul 34 et j’ai vraiment un faible pour lui, c’est bien simple, je vais le regarder tous les jours, deux fois par jour depuis trois semaines. Qui a dit que j’étais fêlée ?

Ce soir les gens, je vais faire chauffer la carte bleue, puis me couper les doigts dans la foulée pour ne pas continuer à acheter des trucs pour moi alors que j’ai deux anniversaires importants dans moins d’un mois et plein de cadeaux à prévoir.

Toute mes excuses aux messieurs pour le post le plus inintéressant de l’année, vous pouvez vous réveiller et vaquer à vos occupations, j’en ai fini… Pour aujourd’hui !