Phénix (ta mère)

Trois mois.

J’entends déjà persifler les langues. Qu’elles soient de putes ou de vipères, peu importe la provenance, je sais qu’au fond, suceuses de sang comme de sperme nous avaient enterrés depuis belle lurette. J’ai donc choisi un samedi grisâtre pour faire mon come-back, tel le phénix, la chatte Pépita ou plus récemment la grand-mère d’Espagne dont on préparait les funérailles sans attendre le verdict des médecins. C’est pas beau de tuer le foetus dans l’oeuf. Que dis-je ? C’est même très vilain.

Que voulez-vous, il y a des jours où le réel prend le dessus sur les jacasseries en ligne, où le temps vient à manquer, même lorsqu’on donne l’impression d’être les rois de la glandouille. Il y a même des jours où les obligations d’ordre scolaires et/ou administratives viennent picorer les miettes d’heures où nous pourrions simplement regarder béatement le plafond la bouche entrouverte à attendre que les moucherons veuillent bien s’engouffrer au fond de nos gosiers asséchés. Pour résumer : on aurait bien aimé continuer à vous raconter nos petites (més)aventures du quotidien, mais le temps nous a manqué.

Je ne reviendrai pas sur les derniers mois, si longs furent-ils, car s’il est une chose que j’ai apprise avec l’âge, c’est qu’il vaut mieux éviter de regarder en arrière  et de gratouiller dans son caca au cas où on y aurait laissé une pépite. Il n’y a jamais de pépite, le caca reste du caca.

Ce qu’il y a à retenir de tout ça : nous sommes fatigués, épuisés, morts, les rotules en sang mais vivants et encore plus blindés qu’auparavant. La vie à 7, c’est mieux que le camp militaire, mieux que Koh Lanta : pas de hiérarchie à proprement parler, pas de jeux débiles où on doit tenir en équilibre sur un poteau mais vingt kilos en moins à l’arrivée et une autodiscipline digne d’un bouddhiste extrémiste (oui ça existe, me contrariez pas, je ne suis pas d’humeur). Et pendant ce temps, je continue de bouffer des carottes crues comme si ma vie en dépendait. Au fond, rien ne change.

J’admets, me remettre sur les rails après plusieurs mois n’est pas aisé, je me sens comme un gamin timide, rougissant face à trente-cinq paires d’yeux prêts à le gober tout cru. C’est comme si j’avais à vous saluer pour la première fois. J’ai finalement bien peu de choses à dire. Je n’ai pourtant pas arrêté de lire, de m’enrichir au contact de ces autres qui paradoxalement me pourrissent à la racine, mais la page blanche m’inhale et je lutte de toutes mes forces pour garder la tête hors de ses crocs.

Si j’ai pris la peine d’écrire à nouveau, c’est qu’enfin j’ai quitté les terres hostiles où je créchais à plein temps depuis début septembre. L’espoir d’un renouveau tant attendu s’étant rapidement mué en cauchemar chaotique, j’ai abandonné l’idée de partager avec vous mon quotidien. J’ai côtoyé la folie, la démence la plus pure, la perte de l’esprit, les morsures dans ma propre chair pour étouffer les hurlements qui ne pouvaient sortir. Dans le coin du lit, la tête entre les genoux, je me suis balancée pour tenter d’éprouver à nouveau le confort cotonneux d’une existence seule avec moi-même. Les autres auraient pu gagner, la folie déborder de ma bouche, se glisser sous la porte et repeindre de rouge les murs de cette baraque où personne ne hurlera jamais assez fort pour être entendu. Je suis vivante et j’ai gagné en endurance, je suis un roc, je suis ailleurs et j’emmerde le monde.

Debout dans le salon Liégeois, j’expulse les derniers grains d’insanité qui m’habitent. Je peux enfin me reposer, me lever à l’aube sans redouter la lourdeur de la journée. Dehors, le sol est gelé, les avions bercent mes nuits, le chien ronfle et sous l’épaisse couette rouge, les yeux de ma mère luttent contre le sommeil qu’elle mérite pourtant amplement. Dans une semaine, on fera la fête au gros bonhomme Coca-Cola, n’en déplaise aux adorateurs du petit Jésus (poilu en culotte de velours comme dirait mon père la bave aux lèvres devant un plat de tripes à la mode de Caen), un an s’est écoulé depuis le cri du Murloc et le chien en rut qui n’en pouvait plus de tourner en rond en couinant. Putain, ça passe tellement vite, même dans les pires moments, même quand t’as juste envie qu’on te loge une balle entre les deux yeux pour que le cauchemar prenne fin, le temps continue de couler comme si de rien n’était et t’es déjà à Noël, prêt à te battre avec un lapin entier pour satisfaire les papilles de ceux pour qui t’as encore envie de faire des efforts.

Je suis debout dans le salon douillet de la maison où je suis née, entre un sapin artificiel et un poêle à gaz d’où s’échappe un souffle chaud et grésillant. Le bide est plein, les chiottes ne débordent plus, j’ai pataugé dans la merde au sens propre, dan ma propre merde, j’imaginais même pas que ça m’arriverait un jour. Foutue vieille bicoque où rien ne tient la route. Vieille bâtisse fracturée, construite, bombardée, reconstruite et bientôt en décomposition. Foutu foyer où je me sens bien, libre d’être moi-même et de péter allègrement sous la couette après une bonne plâtrée de topinambours.

J’ai côtoyé la folie, la rage et la démence, l’envie de ronger mes doigts pour mieux pouvoir sucer mes moignons. Je suis sèche comme un vieux bouc, sèche d’avoir trop pleuré dans l’espoir d’une nuit longue et sans personne pour venir chier à une heure du mat en faisant un boucan de tous les diables. J’ai fait preuve d’une patience sans commune mesure, je m’en étonne aujourd’hui, avec trois jours de recul dans la gueule à râler parce qu’un clébard ronfle un peu trop fort. On reprend bien vite les mauvaises habitudes.

Un mois, il me reste un mois avant de me jeter tête baisée dans la bouche de l’enfer. Masochiste avec tout ça… C’est vrai, mais dans un premier temps, j’allume une clope au coin du feu et je balaie du regard les tableaux au mur. On est si bien chez soi !

 

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3 Responses to “Phénix (ta mère)”

  1. Oph' dit :

    Ahh, contente de te relire :)

  2. Dunaedine dit :

    Je te souhaite de bien te reposer, je pense avoir une idée de ce que à quoi ton esprit a pu se confronter. Si jamais tu veux rejoindre un autre fou dans son antre pour te reposer, tu es la bienvenue ^^. Bon espérons que la folie ne soit pas trop contagieuse, ou à nous 2 nous obtiendrions un effet larsen psychique :o .

  3. Oph' dit :

    Nop, elle viendra chez nous d’abord XD

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