Paro quoi ?

Parodontax.

Le mot est lâché. Aussi fin et aérodynamique qu’un parpaing qui vient de tomber du neuvième étage. L’appellation paraît barbare, de quoi vais-je bien parler dans cet article ? Le Parodontax est-il une espèce de dinosaure disparue depuis la nuit des temps, avec un cou très long et des bosses dans le dos ? Ou bien peut-être que le Parodontax est une nouvelle maladie infectieuse, le type de rareté médicale qui ne sort que dans un diagnostic de Docteur House ?

« C’est un lupus ?

- Non c’est un Parodontax.

- Oh merde c’est vraiment sérieux, il lui reste vraiment plus longtemps à vivre alors… »

Rien de tel, pas de maladies infectieuses à l’horizon, à vrai dire le Parodontax combat les microbes plus qu’il n’en fabrique. Je pense alors à une crème dépilatoire ou bien une nouvelle crème qui fait disparaître les hémorroïdes ? Pas loin, un poil plus haut dans le corps humain, avec un goût peut-être plus infâme.

Mais laissez-moi vous conter sa rencontre. Asseyez vous au coin de la cheminée, ou du bidet plus précisément. Rien de tel que la fraîcheur d’un bidet ressentie sur le coin d’une fesse, ah la douce sensation de la porcelaine froide. L’histoire du Parodontax prend racine dans une salle de bain, au dessus d’un évier, pas loin des toilettes. Quelque part en Belgique, comme souvent dans les histoires à base de Kébab et Max. Depuis quelques temps maintenant, je souffre pas mal de la bouche. Je saigne des gencives à chaque brossage de dents, c’est un problème récurrent. Inlassablement, ce que je recrache dans le lavabo prend une couleur rouge sang. C’est déjà fort désagréable, mais mes gencives perdent du terrain et commencent à se désintégrer littéralement. Plus le temps passe, plus mes dents grandissent et mes gencives rétrécissent. Chaque jour la peur de perdre mes incisives plane comme un spectre menaçant, j’ai peur de finir avec un dentier pour mes trente ans. Je sais, il faudrait que je me prenne en main, que j’aille voir un dentiste. Sauf que j’ai une peur bleue des dentistes, c’est complètement irrationnel et un peu stupide. Je n’aime déjà pas les médecins mais les dentistes occupent la première place de mes ennemis en blouse blanche. J’ai réussi à les fuir toute ma vie et à conserver une dentition acceptable, je n’ai même pas eu besoin d’appareil dentaire en chemin de fer à l’adolescence. Mais quittons la froideur des cabinets médicaux et retrouvons la spacieuse salle de bain liégeoise. Car c’est dans ce sanctuaire du bain que le Parodontax est venu à nous, déposé sur un évier. Maman Kebab nous avait acheté ce dentifrice pour nous et nos petites gencives sensibles. Jusqu’à présent, Kebab et moi nous brossions les dents avec ce bon vieux Signal, compromis assez efficace entre protection des gencives, goût pas trop dégueulasse et propreté des dents. Parce que c’est quand même super agréable de se passer la langue sur les dents et de constater que tout est lisse et impeccable.

Nous sommes dans la salle de bains, le monstre nous fait face. L’emballage semble être de facture classique, presque austère. On redoute le produit à l’ancienne, capable de déboucher les toilettes à lui tout seul. On pourrait presque croire à un dentifrice de contrefaçon qui tenterait de copier les grandes marques du genre. Le style est épuré, le logo est d’une couleur bleu standard, on imagine un dentifrice à la verveine ou quelque chose avec des herbes fortement aromatisées. L’emballage est blanc et une fleur rose tente de nous inspirer confiance. Mais on n’est pas vraiment dupes, on sait que ça va picoter dans les cavités buccales. Nous nous approchons de la créature pâteuse pour nous rassurer, déballons la chose. Une chose attire notre attention, des petits smileys se trouvent au dos du dentifrice. Un monsieur rouge fait la grimace, un orange avale sa salive difficilement et un bonhomme vert sourit de façon joviale et convaincue. En dessous de chaque petit visage, une période correspond. Cinq jours pour le monsieur Tomate, dix pour le monsieur Carotte et quinze pour monsieur Salade. Un message stipule que le dentifrice a un goût immonde au début et qu’il faut donc une période d’une dizaine de jours pour s’acclimater à la saveur étrange de notre ami des gencives. On rigole avec Kebab, presque intrépides. Le message nous a intrigué, on a hâte de tester le produit en bouche. On pose la mixture sur nos brosses à dents, la consistance est vraiment étrange. C’est à la fois liquide et granuleux. C’est un peu comme se brosser les dents avec du sable mélangé avec un yaourt aromatisé à la fraise. Sauf qu’en bouche l’arôme n’a rien de fruité. C’est à la fois salé, ça goûte la terre aussi et ça fait baver fortement. Comme un bouledogue en plein été. On se retrouve un peu bêtasse quand un flot de salive sort instamment de notre bouche pour couler sur le pyjama qu’on vient tout juste de mettre. La première expérience est rebutante, on s’insurge en rigolant :

« Baaark quelle horreur ! – sluurrrrrp (tentative ratée de contenir la mousse liquide du dentifrice) – Ce truc ! C’est abject ! »

Mais le pire dans tout cette histoire, c’est qu’on aime bien ça. Même si la première expérience est fort déplaisante. On en redemanderait presque en plus. Quand on a fini de s’étaler l’étrange composition  sur les dents, elles sont impeccables et brilleraient presque de mille feux. La gencive est apaisée, la dent propre, l’haleine fraîche. Magie, on touche un sommet de la perfection hygiénique. Et dieu sait que la propreté nous est chère, parole de personnes qui se lavent les mains une dizaine de fois par jour au minimum. Le lendemain, on est retournés dans la salle de bain dans un état proche de l’excitation, comme des gamins qui attendent un cadeau surprise d’anniversaire. Empressés d’essayer notre nouvelle trouvaille, afin de pouvoir déterminer si le dentifrice avait toujours un goût aussi horrible.

« Il est vraiment atroce ce dentifrice !

- Putain ouais, c’est trop cool ! »

C’est tout le paradoxe de ce produit. Et la petite notice au dos de l’emballage ne mentait pas, on finit vraiment par apprécier ce dentifrice à la craie amère. C’est complètement fascinant, on développe une forme d’addiction même. On arrive devant le lavabo, on s’arme de notre brosse à dents et nos yeux luisent d’une lueur de contentement perverse lorsque la pâte dentifrice sort du tube. Nos papilles et gencives se délectent du parfum de plante calcaire. On crache l’eau avec vigueur et on sort de la salle de bain dans une forme de béatitude lorsqu’on constate que nos dents sont aussi polies qu’un meuble fraîchement travaillé par un ébéniste. Impossible de passer à une ancienne marque de dentifrice, le retour en arrière est impossible. Ce midi même, Kebab et moi en avons fait l’expérience concrète. Sans faire gaffe, on a mis sur nos brosses à dent un reste de vieux dentifrice Signal. Comme tous les jours, on attendait la forme d’agression buccale habituelle, le petit picotement et la vivacité du parfum végétal si caractéristique du Parodontax. A la place, on s’est retrouvé avec du Signal en bouche. C’était comme se brosser les dents avec une vieille guimauve périmée, complètement perturbant. On s’est tellement habitués à notre puissant ami Parodontax que le Signal nous a paru tout fade et sucré. Pourtant, il n’y a pas si longtemps encore, on érigeait un peu cette marque comme le modèle institutionnel de sa catégorie. Mais le Parodontasaurus-Rex a pris sa place et se pose désormais comme un incontournable du genre. Un poids-lourd de la carie, la nuit les caries font des cauchemars de Parodontax. Ce dentifrice est devenu un des produits phares de notre quotidien après le thé Earl Grey, le coca-zéro et les cigarettes de Kebab. C’est dire son importance. On surkiffe ce truc, l’humain est un grand masochiste.

Attention cependant ce produit n’est pas à mettre entre les mains de tous. Ce brossage de dents au Parodontax est exécuté par un duo de grands cinglés, au goût parfois décalé et iconoclaste. Tout le monde n’aimera pas c’est certain. Ma mère en a fait l’amère expérience. Restez encore un peu au coin du bidet pour une dernière anecdote. C’est un soir de la semaine dernière, dans une maison paisible au milieu de la campagne et des pierres provençales. Un cri d’horreur fait irruption dans la demeure et vient briser le calme (relatif) de la maison. Ma mère sort de la salle de bain et tient dans sa main un objet non déterminé. Elle me sort des exclamations vagues à base de : « Mon dieu ce truc est dégueulasse » accompagnées de « bark bark bark » et terminées par un question : « T’as pas besoin d’un nouveau dentifrice toi ? » Et là, que vois-je ? Les yeux émerveillés, rond comme des billes ! Un putain de tube de Parodontax, amen ! On pensait que la bête se trouvait uniquement en Belgique et on se résignait un peu tristement à achever notre unique tube. On a hérité de deux tubes supplémentaires de Parodontax, autant dire qu’on est tranquilles pour un moment avec ce stock massif. Recevoir une maison en héritage ? Un tas d’emmerdes. Mais recevoir gratuitement deux tubes de Parodontax, ça fait chaud au coeur. Les gens devraient se léguer des dentifrices aux plantes plus souvent je dis.

 

« Oh oui, je suis glamour »

 

Pour résumer :

Graphismes : l’emballage est de facture classique, mention spéciale pour les dessins au dos qui préviennent le pauvre consommateur sans défense. La pâte est de bonne qualité, quoique un peu fuyarde par moment. Elle a parfois tendance à glisser de la brosse à dents et tomber dans le lavabo mouillé. Les premiers contacts seront difficiles et deviendront par la suite un réel plaisir.

Jouabilité : Le dentifrice a tendance à faire peu de mousse et à faire saliver très fort. Attention aux taches sur les vêtements tout propres et tout neuf. Le côté granuleux peut aussi surprendre. C’est tout le charme rustique du produit.

Durée de vie : Increvable, on l’aime chaque jour un peu plus. Se brosser les dents avec Parodontax c’est se faire un ami pour la vie.

Bande son : scrrrouuuu scrrrouuuuu scrrrouuuu … Pschiiiit.

Je n’ai plus qu’une chose à dire : gloire au Parodontax.


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