A l’anniversaire de ma tante

Samedi, c’était l’anniversaire de ma tante.

Ma tante à moi, c’est pas la tante Yolande, c’est la tante Maryse, la petite soeur de ma mère. Elle a toujours vécu trois maisons plus loin que moi, du coup, c’est un peu comme ma deuxième maman. J’aime bien ma tante Maryse parce qu’elle est toujours de bonne humeur, sauf quand elle tire la tronche parce que son chef est un connard, mais je la comprends, alors, je ne lui en tiens pas rigueur. Ma tante Maryse part en vacances trois fois l’an à l’autre bout du monde à bord de somptueux bateaux de croisière, elle roule en cabriolet et porte des chaussures en plastique à 2,50€ la paire, cherchez l’erreur… C’est aussi une férue de tri sélectif, c’est presque une obsession chez elle et ça énerve très fort ma mère. Dans la cuisine de ma tante Maryse, il n’y a pas de place pour cuisiner, parce qu’elle entrepose tout un tas de choses inutiles et un peu dégueulasses allant de sachets en papier jusqu’au fond d’huile des bocaux de rollmops. Du coup, quand tu mets les pieds chez elle, t’as pas intérêt à t’asseoir n’importe où parce qu’elle conserve même les poils de chiens et la crasse qui colle.

Ma tante Maryse vit avec un homme que j’ai longtemps appelé » tonton » mais que j’appelle maintenant « mon oncle » ou pire « Luc ». Luc et moi, on est plus ou moins fâchés depuis dix ans. Avant, c’était presque ma personne préférée du monde entier, je passais mes débuts de soirées en sa compagnie à regarder des conneries à la télé. Mon oncle, contrairement à mon père était toujours fier de mes résultats scolaires et aimait bien m’écouter raconter mes histoires de cour de récré. Puis l’adolescence a creusé un gros fossé entre nous, j’ai fait un tas de conneries plus ou moins graves (mais que je n’arrive pourtant pas à regretter) et il ne m’a jamais pardonné d’avoir déconné. Alors depuis, il me met mal à l’aise et je l’évite comme la peste. Le problème c’est qu’il vit aussi à trois maisons de chez ma mère et que parfois, je suis amenée à passer du temps avec lui. J’aimerais bien qu’on soit de nouveau copains, du coup, quand ça me pète, je lui envoie une carte pour son anniversaire ou je lui offre un super bouquin de recettes, parce qu’il aime bien cuisiner. Mais malgré toutes mes petites intentions, j’ai toujours l’impression qu’il me voit comme une gamine de merde. C’est dommage, parce que je ne demande pas mieux que de recommencer à les fréquenter lui et ma tante, mais dès que nous sommes réunis, je m’expose à une batterie de remarques qui finissent inévitablement par me faire piquer une crise de nerfs ou de larmes.

Malgré tout, depuis quelques temps, j’ai renoué le contact avec ma tante, parce que c’est une personne qui vaut la peine d’être connue. Quand je viens rendre visite à la famille, elle vient me chercher à la gare et elle pense toujours à nous quand elle ramène des souvenirs de vacances. En parlant de ça, il faut vraiment que je songe à goûter une des petites bouteilles de rhum amélioré qu’elle nous a achetées l’année dernière. Ma tante Maryse a de drôles de goûts vestimentaires. On ne peut pas dire qu’ils soient vraiment mauvais, il y a des pièces très jolies dans son dressing mais elle n’a jamais su assortir ses habits. Bien souvent, elle opte pour le « total look unicolore ». En gros : une robe rouge cerise avec un chemisier rouge brique, des chaussures » fraise écrasée » et un collier coquelicot. Le camaïeu décliné dans toutes les teintes possibles. Il faut bien l’avouer, le résultat est souvent douteux. Mais elle aime tellement me montrer ses petits achats que je m’exclame d’enthousiasme devant toutes ses nouvelles acquisitions. Appelez ça de l’hypocrisie si ça vous chante, moi, j’appelle ça « savoir être diplomate ». Et la diplomatie, ça paie. En un an, ma tante et moi sommes passées d’un pauvre « bonjour » hebdomadaire à une heure de conversation dès que nous en avons l’occasion.

Mais revenons à nos moutons, je m’égare encore une fois dans les méandres de mes pensées. Ma tante Maryse a eu 53 ans samedi. Pour l’occasion, je lui ai ramené quelques petites spécialités de Provence et un petit collier. Elle a apprécié mes cadeaux. Bon, ce qu’elle ne sait pas c’est que le collier est un cadeau post-rupture de mon ex (c’est un spécial lui aussi, il m’a offert un petit coeur en ambre six mois après notre rupture alors qu’il ne m’avait jamais acheté d bijou). Oui, je sais, c’est pas beau de refourguer les cadeaux dont on ne veut pas, seulement il allait moisir dans mon tiroir et j’étais sûre qu’il plairait à ma tante. Pour fêter dignement l’événement, ma mère avait lancé il y a quelques mois l’idée d’aller tous ensemble au restaurant chinois. J’avais trouvé que c’était un bon plan, même si je déteste aller au restaurant. A choisir, je préfère ne pas manger au restaurant que ne pas manger les petits plats de mon oncle, je ne tiens vraiment pas à le vexer dans son orgueil de cuisinier en herbe. On m’avait présenté le restaurant comme tel : un self service à volonté ; idéal quand on a quelques problèmes de bouffe comme moi. Dans les buffets à volonté, on peut manger à volonté, et en général, il y a toujours des tas de légumes. Bien sûr, j’avais quelques appréhensions connaissant les goûts de ma tante et mon oncle, je savais qu’on allait pas passer les pieds d’un restaurant de luxe, en fait, je m’attendais à ce que la cuisine soit assez mauvaise. Mais peu importe, si ça pouvait me permettre de leur faire plaisir en évitant la casse.

La veille au soir, j’ai commencé à stresser, il fallait que j’assure à ce repas entre ma grand-mère ultra terre à terre qui ne comprend absolument pas qu’on puisse avoir des problèmes psychologiques, mon oncle avec qui je suis en froid depuis dix ans, ma tante à qui j’ai envie de faire plaisir, ma mère et Maxime que je ne veux pas inquiéter outre mesure en faisant la grève de la faim. Bref, ça commençait à peser un peu lourd sur mes petites épaules. Le matin même, j’ai décidé de me teindre les cheveux, pour passer le temps entre l’heure de mon réveil et le moment fatidique où on irait les rejoindre chez eux pour partir vers le resto. Mais l’entreprise s’est avérée très fatigante, je manque un peu de forces et le rinçage de vingt minutes la tête en bas à genoux au pied de la baignoire a fait tomber ma tension plus que de raison. C’est donc dans un état demi-second et avec un morceau de sucre dans la bouche que j’ai franchi la porte de la maison pour me lancer dans le vide sans parachute à la rencontre de ma tante, mon oncle, et surtout : « le wok magique ».

Ouais, vous avez bien lu « le wok magique »… Ça fait pas rêver hein ? Ça annonce la couleur direct, on ne risque pas d’aller bouffer gastronomique au « wok magique ». Moi, ça m’a tout de suite inspiré des dés de poulets à la sauce aigre-douce épaisse avec des gros morceaux d’ananas en conserve. Sur le chemin, on s’est rendu compte que personne n’avait réservé et on a commencé à avoir peur que le restaurant ne soit fermé pour cause de congés annuels. Une fois arrivés devant, on n’était toujours pas sûrs que c’était ouvert. L’endroit était VIDE et une dame nettoyait les vitres du dehors avec un gros seau d’eau grise. Mais elle nous a fait signe d’entrer, alors on a franchi le seuil en fermant un peu les yeux. Je vous l’ai dit plus haut, je m’attendais au pire en allant au « wok magique », je m’attendais au pire mais pas à ce que j’ai vu une fois que j’ai ouvert les yeux. Une immense pièce remplie de tables pas belles, avec des murs tout délavés en dégradé de jaune et de gris (graisse + poussière sans doute), trois chinois pas sympas qui disent à peine bonjour, des néons façon hôpital avec des moustiques qui grouillent en dessous, des bruits de cuisine, une famille de belges typiques un peu beurk avec des enfants qui braillent (les uniques clients du resto) et au fond de la pièce, un buffet. On a pris place à la table ronde choisie pour l’occasion juste derrière le buffet pour que ma grand-mère de 86 ans puisse se déplacer sans avoir à faire trois kilomètres à chaque fois qu’elle voulait se resservir et là, Max et moi, on s’est retrouvés tout cons. « Euh, on fait quoi maintenant ? comment ça se passe ? ». Non parce que c’est bien joli, mais personne n’est venu nous expliquer le concept. Ma mère a tenté de nous montrer qu’au fond, il y avait le buffet avec les soupes, les entrées chaudes et froides et que devant, c’étaient les viandes pour le wok, qu’on devait les disposer dans les assiettes et les amener au chinois là bas pour qu’il les cuise. Moui, on n’était pas vraiment convaincus. L’horreur se lisait dans nos regards, nous, les snobinards amateurs du chic et sobre « Shangaï » où on te sert à table en costard cravate… On était prêts à lancer le nom de code : « je suis une célébrité » (sortez-moi de là, si vous avez suivi TF1 en 2004). Puis, on a quand même décidé d’aller voir de nous même les entrées, parce qu’on n’est pas des connards coincés et qu’on avait quand même un peu faim. Chic, il y avait de la soupe piquante, j’adore la soupe piquante, alors je m’en suis servi un bol plein sachant que je n’allais pas manger grand chose d’autre. Une fois à table, ma joie s’est vite dissipée : la soupe était froide et malgré sa ressemblance avec la soupe piquante du « Shangaï » elle n’en avait pas le goût. C’était plein de vinaigre et très très gélatineux, bref, pas moyen pour moi d’avaler ce truc. Comme je suis diplomate, j’ai dit que je n’aimais pas la soupe froide et ai laissé mon bol rempli devant moi en attendant la suite.

Ma mère m’avait rassurée la veille en me disant que quoi qu’il arrive, je pourrais toujours manger des sushis. J’attendais la chose avec une impatience non contenue, le ventre commençait à tirailler. C’est là que je me suis dirigée vers le buffet à proprement parler. Jamais je n’avais vu un truc pareil, et pourtant j’ai déjà bouffé de la merde d’ours sur une aire d’autoroute en Allemagne. Au dessus des plats voletait mollement une centaine de mouches, des mouches énormes et vrombissantes. Au dessus de TOUS les plats. Je vous jure, je n’ai pas gueulé, j’ai même cherché les sushis et ai fini par les trouver. Il y avait en tout en pour tout : 4 sushis omelette, 4 Californian makis, 4 sushis saumon et 4 crevettes, un peu triste pour un buffet à volonté… Moi qui pensais me rattraper là dessus, c’était un peu loupé. J’ai opté pour les sushis omelette parce que le poisson pas frais aux oeufs de mouche ne me tentait pas plus que ça. J’ai même osé les machins gluants vapeur parce que tout le reste c’était de la friture. De la vieille friture grasse de type cantine de l’armée. C’était insipide et un peu tiède oui oui, même les sushis ! Heureusement, l’ambiance à table n’était pas mauvaise et personne n’a décelé notre désarroi pourtant parfaitement palpable. Les minutes ont filé plus ou moins vite et l’heure du plat principal est même arrivée plus tôt que je ne l’avais imaginé. Ma tante m’a expliqué qu’à droite, c’était de la viande prête à bouillir et à gauche prête à frire. J’ai opté pour le bouilli, je me suis servie une assiette de rêve avec un tas de légumes presque appétissants et quelques morceaux de volaille pour faire bien. Je me réjouissais d’enfin pouvoir me mettre quelque chose sous la dent dans un restaurant, devant tout le monde, de les épater un coup par ma bonne humeur et mon appétit retrouvé. Oui, j’étais aux anges et j’y croyais à mort.

C’était sans compter sur le pot d’huile. Arrivés au comptoir, le monsieur chinois a mis nos trucs à bouillir dans une grande casserole de bouillon. Je lançais de grands sourires à Max, heureuse de pouvoir délier les mâchoires qui me faisaient mal à force de sourire béatement pour cacher mon malaise. Il avait l’air moins content que moi, franchement, je ne comprenais pas pourquoi, j’allais enfin passer, aux yeux de ma famille pour une fille normale qui mange et tout et tout. Puis, il m’a lancé une petite blague : « hey, t’as vu ? y a ton meilleur ami » en me désignant un truc que je n’avais pas encore vu. Merde, un pot contenant pas loin de dix litres d’huile. L’huile et moi, c’est vraiment pas le moment de nous mettre en présence l’un de l’autre, j’ai beau essayer de manger un peu plus, je ne suis pas du tout prête à recommencer à manger de l’huile et du beurre. Pour le moment, j’essaie juste d’augmenter les quantités de viande et de féculents et c’est déjà très très difficile. Enfin, comme je suis un peu naïve, j’ai cru que l’huile c’était pour l’autre côté du bar, celui où on frit la viande. Quand le cuisto m’a demandé quelle sauce je désirais avec mon plat, j’ai d’abord dit « gingembre » puis me suis ravisée en pensant que j’allais récupérer mes légumes tels quels tout beaux tout bouillis et retourner m’asseoir pour pouvoir les dévorer tranquille. Ensuite, tout s’est déroulé trop vite pour moi, le mec a plongé une louche dans le pot d’huile, a balancé l’huile dans le wok (une louche entière, moi qui rechigne à en manger une cuiller à café par jour) et mes légumes par dessus, le tout accompagné d’une grosse flamme. Bienvenue en enfer ! J’ai vécu le truc au ralenti total, j’ai cru que j’allais me mettre à pleurer d’un coup, à gros bouillons comme dans les mangas. Je savais que je ne pouvais pas revenir en arrière, ni manger ces trucs plein de gras. Vie de merde, je me suis retrouvée comme un chat acculé au milieu de la table avec tout le monde qui m’a regardé trifouiller mon assiette en faisant semblant de manger trois germes de soja. Obligée de prétexter les crampes au bide. Enfin prétexter, pas tant que ça, avec le stress accumulé, je n’ai rien feint du tout, à l’intérieur, c’était la guerre des tranchées, si j’avais voulu avaler quelque chose, je l’aurais probablement dégueulé tout net sur ma voisine de droite.

Pute borgne, rien à faire, j’ai perdu la bataille et je ne guéris pas. Pire, je me suis ridiculisée devant toute ma famille, tout ça parce que j’ai voulu faire plaisir et que je n’ai pas été à la hauteur. Ça m’apprendra à vouloir brûler les étapes. Heureusement, comme tout le monde était de bonne humeur, mes petits problèmes sont passés quasi inaperçus, ils ont dû se dire que j’étais toujours la gamine difficile et un peu râleuse d’antan. Grand bien leur fasse, s’ils avaient la moindre idée de tout ce qui m’a traversé l’esprit durant ce repas, je suis sûre qu’ils m’auraient envoyée aux urgences psychiatriques. Triste histoire, je l’avoue, je suis assez déçue de mon comportement, mais je me suis vraiment retrouvée devant une porte fermée et je m’y suis cogné le nez très fort. Je me console en me disant que c’en est fini des anniversaires et que la prochaine étape pénible ne se présentera pas avant un mois, le temps pour moi d’essayer de me remettre tout doucement à manger un peu.

Epilogue :

Ma tante Maryse a bien aimé son repas d’anniversaire au « Wok magique » elle a trouvé tout très bon, surtout les mouches. On a appris que mon oncle Luc avait vidé l’ampoule de son rétroprojecteur à force de regarder les Simpson et que ma grand-mère était née avec une peau chelou sur la tête qui est censée porter chance. Quant à moi, j’ai poussé un hurlement de soulagement une fois hors de la voiture et me suis ruée sur le frigo pour y prendre un yaourt, du jambon et un coca Zéro…

Bis repetita placent.

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4 Responses to “A l’anniversaire de ma tante”

  1. Ophélie dit :

    Yeurk, mais c’est ignoble comme resto, il y avait sûrement tout un tas de rampants dans les cuisines (comme ceux qui fréquentaient mon immeuble Strasbourgeois). Bon les restos asiatiques, perso, je m’en méfie comme de la peste, j’ai toujours peur de tomber malade (puis clairement, vu ma poisse, si il y a une seule bactérie quelque part, elle est pour bibi…).
    Ton histoire m’a rappelé un anniversaire de ma meilleure amie dans un resto asiatique (tout près de chez moi, si tu veux le visiter un jour) aussi un buffet, aussi désertique… bon, ils n’en étaient pas au stade de l’invasion de mouches mais la bouffe n’était vraiment pas exceptionnelle.
    Ndlr : nous, on a mangé des boooooooooooons sushis hier :) (même si le saumon findus est complètement space)

    • Le Kebab dit :

      Ophélie : ça va, les asiatiques me font pas peur, mais j’ai mes adresses et j’y vais très très rarement (j’aime pas trop les restos). Me fais pas baver avec vos sushis maison, j’en ai très très envie là xD

      Dunaédine : nan mais le concept peut être sympa, ça j’en doute pas sauf que là c’était vraiment douteux, j’aurais dû m’en douter… Et ouais vivement chez toi, les sushis fusion de la dernière fois m’ont laissé un souvenir impérissable =)

  2. Dunaedine dit :

    Bah en même temps, vu ce que tu décris du restau, je ne suis pas sûr non plus que j’aurais été capable de manger Oo. Et pourtant tu me connais assez pour savoir que je mange bien, mais le coup des mouches Oo.
    Perso j’ai déjà été dans un excellent restau de ce genre sur Lille, quand j’étais allé voir Wil et Marie. Se lever fut difficile :p.

    Par contre le Wok, c’est forcément une cuisson à l’huile ^^’. Bon après, le gars a peut-être forcé sur le dosage. Pour en avoir déjà manger aux fruits de mers, ça ne se sent pas forcément.

    PS: tu pourras manger des bons sushis d’ici peu ^^.

    @Ophélie: j’ai déjà chopper une belle saloperie après un restau chinois… Mais bon, j’ai un estomac sensible face à certains trucs :/.

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