Sans regret, on s’appelle et on se fait… une bouffe !

Nous y revoilà, le grand retour à la maison s’est déroulé dans le plus grand calme il y a pas loin d’une semaine. Dire que nous sommes ravis d’être de retour serait un euphémisme, nous sommes comblés, absolument transcendés de bonheur.

C’est bon ? Vous n’aviez pas perdu votre second degré ? Grand bien vous fasse.

J’aperçois sur la majorité des blogs que je parcours des articles-bilans énumérant une dernière fois les passages marquants de l’année 2011, je ne céderai pas au mouvement de foule. Dans sa globalité, 2011 aura été une année particulièrement déplaisante, j’ose espérer que l’année dans laquelle nous avons mis le pied depuis seize jour nous apportera plus de joies. Ne suis-je pas optimiste ? D’une certaine façon, je ne me mouille pas, penser à égaler 2011 et son haleine putride serait une insulte à tous les rêveurs.

Bonne année à nos quatre lecteurs au passage, mieux vaut tard que jamais. Meilleurs voeux comme on dit, que chacun y puise la force nécessaire pour se lever le matin.

Comme l’a si bien dit Max dans l’article précédent, 2011 a failli nous achever, mais elle a aussi apporté son lot de bonnes surprises de dernière minute. Une année nouvelle nous amène souvent à nous poser la question : « tiens, qui pensera à moi pour le réveillon ? »; avec Max, c’est un petit concours, on se demande qui sera le premier à nous manifester de la sympathie. Evidemment, tout cela reste un jeu, il y aura dans l’histoire des gens qui nous aiment et qui n’auront pas besoin de nous souhaiter « bonne santé » pour la forme, d’autres qui écrivent à tout leur répertoire, y compris le boucher d’en face. Bien souvent d’ailleurs, je me demande s’il est bien nécessaire que j’écrive des banalités pour le jour de l’an, je me dis qu’un jour, j’aurai les couilles de faire l’impasse là-dessus et que ceux à qui je pense penseront à moi sans pour autant m’en vouloir de ne pas leur avoir manifesté par écrit mon envie de les voir survivre de nombreuses années encore. Enfin, vous voyez ce que je veux dire…

Je n’aborde pas souvent ici le délicat sujet des amitiés et de leur évolution, j’ai bien trop peur que mes propos soient mal interprétés par l’un ou l’autre de mes amis. Malgré tout, il m’apparait nécessaire dans ce cas précis de faire l’impasse sur le « qu’en pensera-t-on », parce que j’ai un tas de belles histoires à vous raconter. Tout le monde le sait, les amis, ça va, ça vient, il y a les copinages de passages, les amitiés fusionnelles que l’on brûle par les deux bouts, celles qui se consument d’elles-mêmes quand tout a été dit, et celles qui durent envers et contre tout, celles qui se passent de mots, de contacts réguliers et de coups de fil « pour l’hygiène ». J’ai eu des amis dans toutes les catégories susmentionnées, des copains de bars, des copains d’école, des copains de baise, des copains jaloux, des copines envieuses, des copines dédaigneuses, des copines de comparaison constante et dans le tas, quatre ou cinq « vrais amis ». Je crois que je n’ai jamais eu besoin de leur dire, et que malgré tout, tous savent à quel point ils comptent. Ces gens avec qui j’ai pu tomber le masque d’entrée de jeu, avec qui je ne me suis jamais sentie mal à l’aise et à qui j’ai toujours pu tout dire, sans pour autant m’épancher pendant des plombes sur les tourments de ma vie. Ces gens à qui je peux ouvrir la porte après cinq ans de silence radio en peignoir de bain, la clope à la gueule et les cheveux dressés sur la tête, avec l’haleine du matin et les mauvais rêves de la veille enfouis dans les valises sous mes yeux.

Au milieu de tout ça, il y a eu Ingrid, elle a déboulé dans ma vie avec un gros châle rose sur le dos, vociférant à propos de notre unique point commun de l’époque : ce connard de propriétaire. Une tornade blonde, pleine de boucles et de sourires, avec des yeux bleus comme la mer et les joues rosées. Ingrid m’a appelée ce premier janvier, un peu après minuit, juste au moment où j’allais partir me coucher, parce que dans la famille, on n’est pas des fêtards. Et ça ma fait rudement plaisir, je n’avais plus entendu sa voix depuis plusieurs mois, je n’osais pas l’appeler, Ingrid, mon amie du bout de la France, que je ne reverrai sans doute plus jamais. C’est sans doute pour ça d’ailleurs que je ne l’appelais plus, à quoi bon me disais-je ? A quoi bon entretenir des relations avec quelqu’un que je ne reverrai plus ? Je n’en sais rien et je ne sais pas comment évolueront les choses, si nous resterons en contact, si nous nous perdrons complètement de vue. Ceci dit, son appel m’a réellement touchée et m’a même arraché ma première petite larme de l’année (mais j’ai la larme facile, c’est pas nouveau). J’ai pensé à nos soirées bonbons/clopes et à tous ces petits instants du quotidien que nous avons partagé pendant quatre ans, à cette période de ma vie que grâce à elle, je n’ai pas totalement envie d’oublier.

J’ai aussi eu l’occasion d’avoir Loïc au téléphone. Mort saoul, il venait de perdre son grand-père et avait besoin de raconter à quelqu’un comment c’était terrible de voir quelqu’un claquer en direct. On a refait le monde une heure, mais il n’a encore une fois pas passé le pas de ma porte, trop exclusif qu’il est pour oser me rencontrer accompagnée de mon bonhomme, tant pis pour lui, qu’il se porte bien et à la prochaine, dans quatre ou cinq ans, le temps passe tellement vite !

Et comme on dit : jamais deux sans trois, Max (l’autre, le premier) a déboulé en chair et en os la veille de notre retour en france. Un mail de nouvel an, un coup de fil et une demi heure plus tard le voilà qui prenait place sur le canapé de ma mère comme s’il l’avait fait la veille. Fraîchement séparé de sa femme, libre et les couilles pleines, il nous a conté ses derniers malheurs en date sans nous laisser le loisir d’en placer une, mais c’est pas bien grave, il en avait gros sur la patate. C’était un peu la rencontre du troisième type de l’année, notre dernier jour en Belgique, tout déprimés et zombifiés que nous étions avec le Max gesticulant et causant comme si sa vie en dépendait. Je crois que ça restera un bon souvenir et j’espère ne pas le perdre de vue à l’avenir, même s’il l’a dit lui même : « tout dépendra de la jalousie de sa future petite amie ». Bref, on est voués à se voir lorsqu’il va mal, c’est un peu dommage, mais on s’en accommodera. C’est tout de même agréable d’avoir des nouvelles des uns et des autres sans pour autant passer les mois à suivre à se sauter sur le râble trois fois par semaine pour un oui ou pour un non.

Maintenant, j’ai eu mon quota de contact humain pour l’année à venir, laissez-moi agoniser en paix !

J’ai presque fait le bilan malgré-moi, comme si 2011 s’était articulée autour de ses derniers jours. Va, année de merde, va, on ne te regrettera pas. J’en profite pour envoyer mes dernières pensées à Régine et Chipie qui nous ont quittés trop tôt, malgré leurs âges canoniques respectifs. Terminer le premier post de l’année par la rubrique nécrologique, je ne l’avais pas prémédité mais je trouve qu’étant donné les circonstances, c’est du plus bel effet.

 

Rencontre avec le blog

Notre première conversation s’est ouverte sur un simple bonjour, je crois que je peux tenter une innovation, soyons audacieux :

Hello ?

Je me suis amélioré avec le temps. J’ai regardé quelques séries en version originale, je pratice a lot.  Je ne sais pas trop comment débuter notre dialogue, mes doigts sont rouillés et les mots ne coulent plus comme une source jaillissante. Je suis le petit cours d’eau qui sort péniblement des abîmes, je goute encore la terre humide et mon débit est ridiculement faible. Je ne sais plus comment t’adresser la parole, toi, le blog. Mon vieil ami. Je me retrouve devant toi, comme je pourrais me retrouver devant un lointain ami d’enfance. Nos vies se sont souvent croisées, on a partagé tellement de choses ensemble. Et puis le temps file, encore et toujours, lui ne s’arrête jamais sur le bord de la route. Moi, je suis resté à quai pendant quelques instants. Je flânais comme toujours, perdu dans mes considérations contemplatives. Quelque part dans le décor, derrière les derniers rayons d’un soir d’été. Toi, le blog, tu es parti avec les feuilles d’automne. Besoin d’air, rien à dire, pas le temps. Trucs lapidaires qui nous laissent sans voix et sans voie. Tu as disparu sans laisser de traces, pas même un petit mot pour nous rassurer. Je ne te blâme pas, les temps ne sont pas faciles l’ami. Parfois, il faut savoir tout laisser derrière soi et prendre un bol d’air frais. C’est important de respirer. Je comprends ton envie de solitude, pourquoi ennuyer les autres avec ses tracas de la vie quotidienne ? Ce n’est pas très intéressant, pas très enrichissant. Parfois, il faut accepter la fuite. Se taire et attendre que les beaux jours reviennent. Tu m’as toujours dit, vieux camarade, que le silence était d’or et que tu préférais te manifester lorsque les choses le nécessitaient. C’est un appel intérieur, un cri de l’âme qui nous pousse l’un vers l’autre. Comme toutes les vieilles amitiés, il est inutile de garder le contact au quotidien. Je sais que si j’ai besoin de te parler – de moi à moi en quelque sorte – tu seras là immédiatement, pour tendre une oreille attentive et amicale. Je peux compter sur toi, je le sais. On ne s’est pas causé depuis un bail maintenant, pourtant nous sommes là. L’un devant l’autre, nous nous faisons face. Moi contre moi. On ne lutte pas contre le monde entier, mais avant tout contre soi-même. C’est une bataille intérieure, comme toujours.

Cinq minutes auparavant, je ne savais plus comment t’aborder. Je te trouvais austère. Tu as pris quelques rides aussi. Je pensais me retrouver prisonnier des éternelles banalités, celles qui nous acculent entre : « Alors quoi de neuf ? » et « Comment va la vie pour toi ? » – Euh. Same old shit you know. Je ne suis pas doué pour les mondanités tu sais bien. Les questions de politesse me figent instantanément. Je suis l’animal qui traverse la route, je me crois tranquille et deux phares agressifs me mettent soudainement en lumière. La voiture me fonce dessus. A la base, Je voulais juste traverser la route et passer de l’autre côté. Pour regarder pousser l’herbe. Enfin tu vois le genre, je crois que tu me comprends. Tu es mon éternel compagnon, tu commences à saisir quelques bribes de mes élucubrations. Tu sais : les routes, la vie et les métaphores alambiquées que tu es le seul à comprendre. Et voila. Je pensais me retrouver devant toi, évoquer quelques lieux communs et me voici comme toujours : allongé sur le divan. Je divague une nouvelle fois, donne moi donc un peu de ton opium. Une nouvelle fois, laisse mon cerveau s’embrumer et s’engouffrer dans ses méandres.

Je devrais peut-être te souhaiter une bonne année vieux frère, mais je ne sais pas. L’idée me dérange. Je n’aime pas souhaiter ce genre de choses, c’est comme espérer la paix dans le monde pour moi. C’est une chose bien trop grande. Le genre de concept qui me dépasse, je suis focalisé sur moi-même et c’est déjà assez éprouvant comme ça. Je penserai à toi, je serai à ta disposition si quelque chose dérape dans cette future année. Cette promesse est plus fiable que les éternels voeux du premier janvier. Et puis. Et puis… Il faut se le dire, maintenant qu’on a bu quelques verres ensemble et que l’ivresse des mots nous gagne. 2011, quelle année de merde. On en a bavé jusqu’au bout. On en a chié par tous les trous si je peux me permettre. Je suis bien content d’en finir. Je n’ai rien fait d’extraordinaire pour les fêtes. Tu sais bien, tu me connais à force. Les grandes soirées où tout le monde doit s’amuser, j’ai un peu de mal. J’ai passé le réveillon de Noël en peignoir rouge avec des motifs de flocon de neige. La grande classe. Je mets les grands plats dans les assiettes de tous les jours. Je me ressource. Là. Dans ce canapé vert. Auprès d’elle. Je n’ai besoin de rien d’autre finalement. Bon vent 2011 ! L’année qui aura essayé de nous achever jusqu’au bout. Quoi ? Je ne t’avais pas raconté ? On ne se parle vraiment plus assez tous les deux. Un grain de poivre a failli achever ma moitié, comme ça, bêtement. Une chose si minuscule peut créer un bazar terrible. Asphyxie, étouffement et panique à gogo. Je te raconte même pas. Mais l’espace d’un instant, j’ai vu ma copine tomber, prendre la voix de Jeanne Moreau sur le déclin façon E.T et « la graaaaaaaande famille du cinémaaaaa » et finir son rôti vaille que vaille. Mais 2011, vieille salope, tu as essayé de nous avoir jusqu’au bout. Tu ne nous tueras pas, nous sommes invincibles.

Et je te parle et je te parle encore, vieille branche. On est partis pour refaire le monde encore en 2012. Il paraît que c’est l’année de l’apocalypse. Si tu savais le nombre de fin du monde qu’on a évité en 2011. Je suis blindé. La fin des temps peut arriver, j’en ai vu d’autres. Je suis plus armé que Buffy la tueuse de vampires. Je t’attends année 2012 : déploie tes flammes, tes tremblements de terre, tes orages et tes bras menaçant. Invoque toutes les forces de destructions possibles et imaginables. Je t’attendrais fermement, les pieds solidement ancrés à terre. L’oeil défiant. Il ne restera peut-être plus qu’un tas de gravas après ton passage, mais je n’aurai pas bougé d’un pouce. Rien dans les mains, rien dans les poches comme dirait l’autre. Je n’ai toujours rien à perdre. Je t’attendrai sur cette bonne vieille route et son asphalte éternelle. Tu comprends pourquoi je ne peux pas te souhaiter bonne année petit blog ? Elle ne s’annonce pas forcément belle et facile, je le sais déjà. Ou alors elle sera à ranger aux côtés de ces beautés détruites par le temps, qu’on jugera magnifique avec le recul. La seule certitude de l’histoire c’est que le temps s’écoulera toujours trop lentement, toujours trop vite. Inévitablement frustrant.

Je vais devoir te laisser.

Ta visite m’a fait rudement plaisir. Je ne sais pas quand on pourra se revoir. Je t’appelle à l’occasion, il faut vraiment qu’on tente de se voir plus régulièrement.

Comment ?

Tu n’es pas dupe je sais. On ne se reverra pas d’un moment ? C’est fort possible. Je ne peux même pas te le dire. Mais tu habites toujours dans un recoin de mon esprit, il faut que tu le saches. Tiens, au fait, les anciens voisins me demandent toujours comment tu te portes. Madame Inspiration se languit de toi, Monsieur Rêve m’a donné son bonjour l’autre matin. Il me parle souvent de toi, tu te rappelles de lui je pense, avec son air complètement fou et iconoclaste. Avec ses dents qui tombent toujours et ses bus toujours en retard… Ah ah et la fois où il a oublié son pantalon, tellement drôle ! Enfin, il faut vraiment que je te lâche.  Je ne sais pas trop comment te quitter. Mes au-revoir sont souvent maladroits. Un flot de pensées positives m’envahit mais quelqu’un vient toujours fermer le robinet à ce moment précis. De fait, rien de très constructif n’en ressort. Mais ce n’est pas un adieu définitif. Oh, je ne te fixerai aucun rendez-vous. Tu connais l’animal sauvage maintenant. Je te croiserai dans la rue, au hasard de mes déambulations. J’aime beaucoup l’idée de la rencontre en apparence fortuite. Comme aimantés par une force supérieure, nous nous retrouverons.

Je ne t’embête pas plus, bonjour à tout le monde là-bas. De l’autre côté du miroir.

Mes sincères salutations.

Elles le sont.

Phénix (ta mère)

Trois mois.

J’entends déjà persifler les langues. Qu’elles soient de putes ou de vipères, peu importe la provenance, je sais qu’au fond, suceuses de sang comme de sperme nous avaient enterrés depuis belle lurette. J’ai donc choisi un samedi grisâtre pour faire mon come-back, tel le phénix, la chatte Pépita ou plus récemment la grand-mère d’Espagne dont on préparait les funérailles sans attendre le verdict des médecins. C’est pas beau de tuer le foetus dans l’oeuf. Que dis-je ? C’est même très vilain.

Que voulez-vous, il y a des jours où le réel prend le dessus sur les jacasseries en ligne, où le temps vient à manquer, même lorsqu’on donne l’impression d’être les rois de la glandouille. Il y a même des jours où les obligations d’ordre scolaires et/ou administratives viennent picorer les miettes d’heures où nous pourrions simplement regarder béatement le plafond la bouche entrouverte à attendre que les moucherons veuillent bien s’engouffrer au fond de nos gosiers asséchés. Pour résumer : on aurait bien aimé continuer à vous raconter nos petites (més)aventures du quotidien, mais le temps nous a manqué.

Je ne reviendrai pas sur les derniers mois, si longs furent-ils, car s’il est une chose que j’ai apprise avec l’âge, c’est qu’il vaut mieux éviter de regarder en arrière  et de gratouiller dans son caca au cas où on y aurait laissé une pépite. Il n’y a jamais de pépite, le caca reste du caca.

Ce qu’il y a à retenir de tout ça : nous sommes fatigués, épuisés, morts, les rotules en sang mais vivants et encore plus blindés qu’auparavant. La vie à 7, c’est mieux que le camp militaire, mieux que Koh Lanta : pas de hiérarchie à proprement parler, pas de jeux débiles où on doit tenir en équilibre sur un poteau mais vingt kilos en moins à l’arrivée et une autodiscipline digne d’un bouddhiste extrémiste (oui ça existe, me contrariez pas, je ne suis pas d’humeur). Et pendant ce temps, je continue de bouffer des carottes crues comme si ma vie en dépendait. Au fond, rien ne change.

J’admets, me remettre sur les rails après plusieurs mois n’est pas aisé, je me sens comme un gamin timide, rougissant face à trente-cinq paires d’yeux prêts à le gober tout cru. C’est comme si j’avais à vous saluer pour la première fois. J’ai finalement bien peu de choses à dire. Je n’ai pourtant pas arrêté de lire, de m’enrichir au contact de ces autres qui paradoxalement me pourrissent à la racine, mais la page blanche m’inhale et je lutte de toutes mes forces pour garder la tête hors de ses crocs.

Si j’ai pris la peine d’écrire à nouveau, c’est qu’enfin j’ai quitté les terres hostiles où je créchais à plein temps depuis début septembre. L’espoir d’un renouveau tant attendu s’étant rapidement mué en cauchemar chaotique, j’ai abandonné l’idée de partager avec vous mon quotidien. J’ai côtoyé la folie, la démence la plus pure, la perte de l’esprit, les morsures dans ma propre chair pour étouffer les hurlements qui ne pouvaient sortir. Dans le coin du lit, la tête entre les genoux, je me suis balancée pour tenter d’éprouver à nouveau le confort cotonneux d’une existence seule avec moi-même. Les autres auraient pu gagner, la folie déborder de ma bouche, se glisser sous la porte et repeindre de rouge les murs de cette baraque où personne ne hurlera jamais assez fort pour être entendu. Je suis vivante et j’ai gagné en endurance, je suis un roc, je suis ailleurs et j’emmerde le monde.

Debout dans le salon Liégeois, j’expulse les derniers grains d’insanité qui m’habitent. Je peux enfin me reposer, me lever à l’aube sans redouter la lourdeur de la journée. Dehors, le sol est gelé, les avions bercent mes nuits, le chien ronfle et sous l’épaisse couette rouge, les yeux de ma mère luttent contre le sommeil qu’elle mérite pourtant amplement. Dans une semaine, on fera la fête au gros bonhomme Coca-Cola, n’en déplaise aux adorateurs du petit Jésus (poilu en culotte de velours comme dirait mon père la bave aux lèvres devant un plat de tripes à la mode de Caen), un an s’est écoulé depuis le cri du Murloc et le chien en rut qui n’en pouvait plus de tourner en rond en couinant. Putain, ça passe tellement vite, même dans les pires moments, même quand t’as juste envie qu’on te loge une balle entre les deux yeux pour que le cauchemar prenne fin, le temps continue de couler comme si de rien n’était et t’es déjà à Noël, prêt à te battre avec un lapin entier pour satisfaire les papilles de ceux pour qui t’as encore envie de faire des efforts.

Je suis debout dans le salon douillet de la maison où je suis née, entre un sapin artificiel et un poêle à gaz d’où s’échappe un souffle chaud et grésillant. Le bide est plein, les chiottes ne débordent plus, j’ai pataugé dans la merde au sens propre, dan ma propre merde, j’imaginais même pas que ça m’arriverait un jour. Foutue vieille bicoque où rien ne tient la route. Vieille bâtisse fracturée, construite, bombardée, reconstruite et bientôt en décomposition. Foutu foyer où je me sens bien, libre d’être moi-même et de péter allègrement sous la couette après une bonne plâtrée de topinambours.

J’ai côtoyé la folie, la rage et la démence, l’envie de ronger mes doigts pour mieux pouvoir sucer mes moignons. Je suis sèche comme un vieux bouc, sèche d’avoir trop pleuré dans l’espoir d’une nuit longue et sans personne pour venir chier à une heure du mat en faisant un boucan de tous les diables. J’ai fait preuve d’une patience sans commune mesure, je m’en étonne aujourd’hui, avec trois jours de recul dans la gueule à râler parce qu’un clébard ronfle un peu trop fort. On reprend bien vite les mauvaises habitudes.

Un mois, il me reste un mois avant de me jeter tête baisée dans la bouche de l’enfer. Masochiste avec tout ça… C’est vrai, mais dans un premier temps, j’allume une clope au coin du feu et je balaie du regard les tableaux au mur. On est si bien chez soi !

 

J’ai lu : Août – Septembre 2011

Rassurez-vous, je n’ai pas arrêté de lire. J’ai été plutôt occupée ces derniers temps, le blog n’est pas à l’abandon pour autant, mais en attendant les prochaines vacances, nous risquons de l’alimenter de façon sporadique.

Que dire de mes lectures estivales ? Dans l’ensemble, beaucoup de déceptions et de « coups pour rien », il faut dire que j’ai lu ce qui me passait sous la main, sans réel travail de recherche, j’espère relever le niveau dans les mois à venir. En attendant, laissez-moi vous présenter les acteurs de ma fin d’été.

A dance with the dragons – George R.R. Martin

In the aftermath of a colossal battle, the future of the Seven Kingdoms hangs in the balance once again–beset by newly emerging threats from every direction. In the east, Daenerys Targaryen, the last scion of House Targaryen, rules with her three dragons as queen of a city built on dust and death. But Daenerys has three times three thousand enemies, and many have set out to find her. Yet, as they gather, one young man embarks upon his own quest for the queen, with an entirely different goal in mind.

To the north lies the mammoth Wall of ice and stone–a structure only as strong as those guarding it. There, Jon Snow, 998th Lord Commander of the Night’s Watch, will face his greatest challenge yet. For he has powerful foes not only within the Watch but also beyond, in the land of the creatures of ice.

And from all corners, bitter conflicts soon reignite, intimate betrayals are perpetrated, and a grand cast of outlaws and priests, soldiers and skinchangers, nobles and slaves, will face seemingly insurmountable obstacles. Some will fail, others will grow in the strength of darkness. But in a time of rising restlessness, the tides of destiny and politics will lead inevitably to the greatest dance of all. . . .

La suite du trône de fer, je l’attendais depuis des mois, je n’ai pas résisté à l’acheter dans sa version originale le jour de sa sortie. J’imagine à peine l’excitation ressentie par les lecteurs qui auront patienté six ans entre la parution du précédent et de celui-ci. Le livre est gros, mille pages grand format, écrit tout petit, on se dit qu’on en a pour son argent. On tourne les pages, on soupèse le machin, on ose à peine commencer à le lire. Puis on se jette à l’eau et on se prend une grosse claque d’entrée de jeu : on retrouve avec plaisir les personnages du tome 3, délaissés volontairement par l’auteur dans le tome précédent. Ils nous avaient manqué. Les premières répliques de Tyrion nous arrachent de grands sourires et malgré la barrière de la langue, on se prend vite au jeu. Revenons un instant sur le problème de l’anglais. J’ai choisi de lire le livre en version originale pour deux raisons : parce que j’étais pressée et que le très bon Jean Sola ne serait pas de la partie pour la traduction de celui-ci. La difficulté n’est pas insurmontable, le ton, moins médiéval que dans la version française est direct et relativement accessible. Bien sûr, j’ai manqué de vocabulaire, notamment pour les descriptions des environnements, mais surtout pour suivre l’action (il faut dire, même en français, j’ai du mal), cela n’a pourtant pas gêné ma lecture outre mesure.

En ce qui concerne la qualité du roman, passée la première impression fort agréable, on se retrouve rapidement face à la copie conforme du tome 4 version Daenerys/Jon avec tous les défauts de son prédécesseur. Beaucoup de pages pour un intérêt discutable. Agréable à lire certes, mais loin du tome 3 qui m’a laissé un souvenir marquant. L’intrigue traîne en longueur et certains passages sont téléphonés. Evidemment, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire A Dance with Dragons, mais j’en attendais un peu plus. On en ressort avec une sensation d’inachevé, tout risque de prendre un tournant décisif dans le prochain volume, il ne reste plus qu’à relire dix fois les volumes déjà parus en attendant la suite.

La voleuse de livres - Markus Zusak

Leur heure venue, bien peu sont ceux qui peuvent échapper à la Mort. Et, parmi eux, plus rares encore, ceux qui réussissent à éveiller Sa curiosité. Liesel Meminger y est parvenue. Trois fois cette fillette a croisé la Mort et trois fois la Mort s’est arrêtée. Est-ce son destin d’orpheline dans l’Allemagne nazie qui lui a valu cet intérêt inhabituel ou bien sa force extraordinaire face aux événements ? A moins que ce ne soit son secret… Celui qui l’a aidée à survivre. Celui qui a même inspiré à la Mort ce si joli surnom : la Voleuse de livres…

Après plus d’un mois de lecture du trône de fer en anglais, il me fallait retomber sur mes pattes et surtout reposer mes yeux et mon cerveau, je me suis donc jetée sur le premier roman dont la couverture a arrêté mon regard : la voleuse de livres. Pour vous raconter un peu, parce que le résumé du dessus est un peu pauvre, il s’agit d’une histoire se déroulant pendant la seconde guerre mondiale, en Allemagne. La particularité du roman ? La mort est la narratrice de l’histoire, un concept intéressant. Oui, mais… Mais l’auteur n’en fait strictement rien, si l’histoire avait été racontée par ma grand-mère, elle aurait été plus captivante. Contrairement à l’auteur, ma grand-mère, elle, a réellement subi la seconde guerre mondiale. La voleuse de livres est un roman on ne peut plus classique qui ne brille ni par son écriture, ni par sa narration. Pourtant, il se lit très facilement, en trois jours, on se farcit les 600 pages, mais dès qu’on le referme, on oublie presque tout, sauf peut-être la niaiserie et les clichés omniprésents. Tandis que le gentil juif dans la cave côtoie l’orpheline surdouée, je rêve à de meilleurs lendemains littéraires. Next.

1Q84 Livre 1 – Haruki Murakami

Au Japon, en 1984.
C’est l’histoire de deux mondes, celui réel de 1984 et un monde parallèle tout aussi vivant, celui de 1Q84. Deux mondes imbriqués dans lesquels évoluent, en alternance, Aomamé et Tengo, 29 ans tous deux, qui ont fréquenté la même école lorsqu’ils avaient dix ans. A l’époque, les autres enfants se moquaient d’Aomamé à cause de son prénom, « Haricot de soja », et de l’appartenance de ses parents à la nouvelle religion des Témoins. Un jour, Tengo l’a défendue et Aomamé lui a serré la main. Un pacte secret conclu entre deux enfants, le signe d’un amour pur dont ils auront toujours la nostalgie.
En 1984, chacun mène sa vie, ses amours, ses activités.
Tueuse professionnelle, Aomamé se croit investie d’une mission : exécuter les hommes qui ont fait violence aux femmes. Aomamé a aussi une particularité : la faculté innée de retenir quantité de faits, d’événements, de dates en rapport avec l’Histoire.
Tengo est un génie des maths, apprenti-écrivain et nègre pour un éditeur qui lui demande de réécrire l’autobiographie d’une jeune fille échappé ç la secte des Précurseurs. Il est aussi régulièrement pris de malaises lors desquels il revoit une scène dont il a été témoin à l’âge d’un an et demi.

Et voilà un roman qui a fait couler beaucoup d’encre. 1Q84, est le phénomène de la rentrée en terme de littérature étrangère ; il est dans tous les rayons, dans toutes les gares, sur toutes les lèvres et dans les mains de 20% des usagers de la RATP. Je l’ai acheté parce que l’oeuvre de Murakami ne me laisse pas indifférente, bien que j’aie souvent été déçue de ses romans, il y règne en général un onirisme poétique et une folie ambiante qui me plaisent beaucoup. Dans 1Q84, Murakami a radicalement changé de style, il nous livre une écriture froide, répétitive et fort peu originale. Les personnages, tout d’abord attachants servent malheureusement de prétexte à une histoire tirée par les cheveux qui ne commence jamais vraiment. Il ne s’agit que de la première partie d’une trilogie, soit, mais on reste vraiment sur sa faim. L’intrigue s’installe au bout de 350 pages et prend rapidement une tournure déplaisante, parfois risible. Le roman est composé à 40% de flash-back souvent ennuyeux et ponctué ça et là de passages porno/trash parfaitement inutiles. Comme l’héroïne, moi aussi, j’ai mal au cul, mais c’est parce que j’ai des hémorroïdes, ça vous excite ? Moi non plus… Bref, 1Q84 ne mérite en rien sa notoriété, Murakami a écrit un tas de bouquins bien plus intéressants. Voilà une des rares histoires en plusieurs tomes dont je ne lirai pas la suite.

La compagnie noire Tome 1 – Glen Cook

La Compagnie noire n’est pas constituée de héros moralement irréprochables, de champions au coeur pur, d’élus destinés à sauver le monde. Non, la Compagnie noire, c’est une famille soudée, une troupe de mercenaires qui vend ses services au plus offrant, et dont les employeurs sont rarement portés vers l’amour et la loyauté (en revanche, ils font un usage fort dévastateur de la sorcellerie). En voici les pérégrinations mouvementées, racontées par l’annaliste Toubib, médecin de la troupe, qui tient pour notre bonheur ces chroniques, sans flonflons ni cotillons, sans belles phrases lyriques. Juste ses impressions, ses observations, sur un monde violent où l’avidité des uns n’a d’égal que l’immoralité des autres, simple carnet de bord d’une compagnie qui lutte pour vivre, pour survivre. Sorcellerie, chaos, batailles et fraternité, Glen Cook tord le cou au manichéisme et laisse loin derrière lui les sentiers battus de la fantasy.

Après les deux essais ratés ci-dessus, j’ai eu besoin de replonger dans la fantasy histoire de souffler un peu. La compagnie noire n’était peut-être pas le meilleur choix pour reposer mes neurones. Dès les premières lignes, l’auteur nous plonge au coeur même de l’action et j’ai mis un moment à comprendre de quoi il retournait. C’est confus, saccadé, on ne sait pas qui est qui, qui fait quoi et pourquoi tous se battent. La seule chose dont on peut être sûr, c’est que ce n’est pas beau à voir. L’ambiance de ce bouquin est tout bonnement terrible, au sens propre, on n’imagine pas un centimètre de ciel bleu au dessus de cette atmosphère pesante. Les cadavres s’empilent dans des tranchées, des esprits tordus voire frappadingues échafaudent des plans machiavéliques pour se débarrasser de leurs ennemis et Toubib, le narrateur / annaliste nous relate les aventures de sa compagnie tout en prenant part à l’histoire. C’est un roman intéressant, intriguant qui donne encore trop peu de réponses pour que je puisse me forger un avis définitif dessus. Il me faudra lire la suite pour vous dire ce que j’en pense vraiment, en tout cas, une chose est sûre : ça ne laisse pas indifférent !

Azazel – Boris Akounine

Le 13 mai 1876, à Moscou, dans le jardin Alexandre, l’étudiant en droit Piotr Kokorine s’approche d’une jeune fille assise sur un banc en compagnie de sa duègne. Après avoir vanté sa beauté et quémandé en vain un baiser, il sort un revolver, fait tourner le barillet, appuie le canon sur sa tempe, tire et s’écroule mort. Ce fait divers intrigue le commissaire principal Grouchine qui confie l’affaire à un nouveau venu dans son service, le fonctionnaire de quatorzième classe, Eraste Pétrovitch Fandorine. De l’enquête préliminaire et des interrogatoires qui vont suivre, Fandorine découvre que la victime, d’un nihilisme forcené, s’est tuée à la suite d’un défi avec Nikolaï Akhtyrtsev, un autre étudiant, qui l’a provoqué à la « roulette russe ». Sans famille, Kokorine lègue par testament une grosse fortune à la baronne Margaret Esther, une citoyenne britannique qui vient de créer à Moscou le premier « esthernat », un établissement qui recueille et élève les petits orphelins. Lors d’une soirée privée organisée chez l’ancienne égérie de Kokorine, le policier retrouve Akhtyrtsev. Il sympathise avec lui et recueille ses confidences mais lorsqu’ils sortent dans la rue, un inconnu les poignarde en murmurant « azazel ».

J’aime bien les histoires qui se passent en Russie, j’aime aussi les policiers. C’est comme ça que j’ai jeté mon dévolu sur Azazel de Boris Akounine. Le pitch est alléchant, l’époque m’interpelle bref, je pars avec un a priori positif sur la chose. Le style de l’auteur est agréable, c’est bien écrit, ça m’avait manqué dernièrement. Le héros est jeune et ses tâtonnements prêtent parfois à rire, pourtant il est attachant. Le rythme est soutenu et laisse très peu de place à l’ennui. Malheureusement, l’intrigue principale ne m’a pas plu, ce qui est un peu embêtant pour un policier. Je laisserai cependant une seconde chance à Akounine qui a, dans ce premier roman planté un décor intéressant et développé des personnages sympathiques. A suivre.

 

Snoopy et les Peanuts Intégrale 1950-52 – Charles.M Schulz

Snoopy et les Peanuts : 1950-1952 inaugure l’intégrale du chef d’œuvre de Charles M. Schulz, avec toute une galerie de personnages devenus légendaires -Lucy, Schroeder, Snoopy, Linus bébé et Charlie Brown. Accompagné d’un essai sur la vie et l’œuvre de Schulz écrit par David Michaelis et d’un long entretien avec l’auteur couvrant toute sa carrière, ce premier tome de l’intégrale fera le bonheur des lecteurs novices (de tous âges) comme des inconditionnels de Peanuts.

On ne présente plus Snoopy, le Beagle blanc le plus célèbre de la planète. Ce que certains ignorent encore c’est qu’au départ, Snoopy était seulement le compagnon de Charlie Brown, un chien on ne peut plus ordinaire qui ne savait pas parler. Dargaud a eu la très bonne idée de rééditer toute l’oeuvre de Schulz sous forme d’intégrale, chaque tome courant sur deux années, le tout dans un format original. C’est une édition soignée qui vaut son prix, en fin de volume, cinquante pages sont consacrées à l’auteur. Et j’ai le sourire aux lèvres à chaque fois que j’aperçois la grosse tête de Charlie Brown. Les gags sont parfois désuets mais empreints d’un tel charme qu’il serait dommage de passer à côté. A redécouvrir.

L’ouragan Marine

Nous voilà de retour à la maison une nouvelle fois. La grande agitation estivale s’estompe un peu, la maison commence à retrouver son rythme de croisière. Mon père se lève pour bosser tous les matins et n’erre plus dans la maison comme un fantôme perdu. Ma mère a repris son éternelle routine : elle se lève tôt le matin, fait son ménage de fond en comble à grands coups d’aspirateur flambant neuf. Elle a retrouvé une forme de légèreté et n’attend plus indéfiniment que la journée se termine dans une torpeur maussade. Les enfants ne tournent plus comme des chats en cage, ils sont retournés sur les bancs de l’école pour voir leurs copains et copines respectifs et affronter une nouvelle année scolaire. La rentrée fait étrangement du bien à tout le monde je crois. L’été se meurt, l’équilibre est encore fragile et frissonne comme ces feuilles d’automne qu’on va sentir craquer sous nos pieds. Pendant ce temps-là, Jean-Baptiste a quitté la maison à pas de loup et sans mots dire. Son départ était à son image, à la fois discret et silencieux. Kebab et moi, on aurait bien aimé qu’il nous dise un petit mot, on aurait bien voulu lui dire que sa présence nous faisait du bien et lui donner quelques encouragements pour la suite. A l’image de nombreux adieux, on voudrait dire tout un tas de choses profondes, sortir la phrase inoubliable qui fera chaud au coeur et restera ancrée dans les mémoires. Mais rien n’est sorti, Jean-Baptiste ne nous a même pas salués, il a franchi la porte sans mot dire et s’est rapproché de son futur. Peut-être qu’il s’est marmonné un « mmmmmm hmm hum » que lui seul comprend pour se donner du courage et qu’on ne l’a pas bien entendu. Parce qu’on n’a jamais bien compris ce qu’il pouvait bien dire dans le fond de sa barbe.

Jean-Baptiste et ses muscles, Jean-Baptiste et ses murmures en yaourt incompréhensible, Jean-Baptiste et ses rentrées nocturnes à 1h du matin par la porte de la terrasse, Jean-Baptiste et les problèmes d’argent qui rendaient ma mère gaga, toutes ces petites choses nous ont quittés pour de bon. Triste quand même. Un jeune adulte s’en va, un autre enfant doit donc arriver pour prendre sa succession et donner à nouveau du travail à ma mère. La période qui précède une nouvelle arrivée est toujours un peu angoissante. On se demande si on ne va pas devoir accueillir un enfant psychotique de sept ans, une adolescente cocaïnomane de quinze printemps ou bien un enfant péruvien battu par son père qui était un lama alcoolique. Les cas d’école sont nombreux et les potentielles têtes blondes à venir nous inquiètent un peu. Alors quand ma mère m’a annoncé qu’une adolescente de douze ans allait remplacer notre jeune adulte taciturne, je me suis dit : « Fait chier, ça va être un tas d’emmerdes en perspective » et j’ai commencé à m’imaginer les pires scénarios possibles. Je nous voyais déjà passer à la télé dans ces émissions un peu pathétiques où des parents finissent complètement à la merci de leurs affreux gamins boutonneux. Dans ces reportages les parents se retrouvent comme des esclaves chrétiens livrés dans les arènes romaines aux lions sans pitié. Je voyais ma mère dans la peau de la captive soumise et la jeune gamine qui endossait le rôle du gros fauve qui joue cruellement avec sa proie. Je voyais le fossé trop grand entre ma mère et une jeune fille dans la fleur de l’âge. Et puis faut bien l’avouer, Kebab et moi on a un peu peur des adolescents. Cette drôle d’espèce difficile à cerner, véritable bombe à retardement susceptible d’exploser à la moindre remarque et toujours à fond dans le paraître.

Etre ou ne paraître ?

On avait les boules, les chocottes, on le sentait pas. On avait un very bad feeling about this. On avait peur quoi. Jean-Baptiste est parti un lundi, Marine est arrivé le mercredi suivant. On n’a pas eu le temps de faire notre deuil, de souffler un coup et voilà qu’une nouvelle personne arrive dans la maison. On a vu débouler une gamine qui officiellement a douze ans mais qui physiquement semble en avoir dix-huit. C’est perturbant, tu te retrouves devant un étrange personnage, mélange d’adulte et d’enfant. Tu la regardes, elle est âgée. Tu l’écoutes, elle est toute gamine. Drôle de décalage entre le physique et l’esprit, c’est déstabilisant. Marine est une adolescente type, j’ai presque envie de dire cliché. Elle se maquille à outrance à grands renforts de crayons noirs. C’est dommage parce qu’elle a un joli minois mais le maquillage ne lui rend pas honneur et lui donne un petit côté vulgaire. Du coup, elle est jolie comme un camion volé. Mais bon faut suivre la mode, les gamins commencent de bonne heure maintenant. Il faut alors suivre le mouvement collectif au risque de passer pour un objet vivant non identifié auprès de ses petits camarades. La cour d’école, ton univers impitoyable. Et la petite morveuse qui ne se maquillera pas comme les autres, qui ne portera pas de slim mais les jeans et les pulls que sa grande soeur a portés avant elle, deviendra la risée de tous. Même des plus gentils, qui sont également obligés de se moquer d’elle pour ne pas sortir du rang eux-aussi. Côté code vestimentaire, Marine est à tendance racaille wesh-wesh gentille. Elle porte des gros survêtements et des fringues un peu pouffe dans l’air du temps. Elle parle fort et sort des phrases du style : « Wesh kessi m’parle ce prof là, c’est pas mon ami t’as vu ! » autant dire que quand Marine parle, le charme est rompu. Elle gueule et jure comme une poissonnière un jour de marché. Quand on l’a vue le premier jour, Kebab voulait fuir à toutes jambes et moi je me retrouvais à bredouiller des phrases futiles comme une andouille. On ne connait pas bien la faune juvénile, on est du genre un peu trop intello pour les adolescents dans le vent. Du coup, on avait  peur d’être rejetés comme à l’école primaire et le fantôme banni de nos jeunes années ne demandait qu’à ressortir. Les premiers contacts avec Marine ont été difficiles, mon père ne sortait plus un mot à table et je sentais ma mère sur la défensive qui n’osait pas trop mettre de barrière avec la gamine. Du coup, elle se la jouait cool et la laissait un peu tout faire. Le portable à table, les discussions jusqu’à six heures du matin avec ses copines. Nous, on aimait bien notre tranquillité la nuit. Sniouf. Et dire que Jean-Baptiste, vingt ans au compteur, se faisait jeter le lendemain matin s’il avait eu le malheur de taper trop fort sur son clavier à 22h15. Les lois ne sont pas toujours très justes.

On ne savait plus trop bien se positionner Kebab et moi. Perdus comme le fer à repasser du Monopoly sur une partie d’échecs. On ne pouvait pas bouger, on ne pouvait rien faire. A part commenter dans notre coin et attendre que l’orage passe. Kebab a bien tenté quelques approches, histoire de voir ce qui pouvait bien se cacher derrière la façade d’adolescente dure à cuire. Elle lui a demandé comment ça allait et des trucs du genre. La gamine allait plutôt bien vu que ma mère lui a acheté directement un téléphone et un ordinateur portable, alors quand le Kebab a tenté une question sur son adaptation au détour d’un réglage sur son téléphone, ça a donné un truc du genre :

« Alors, ça te fait pas trop bizarre ? »

(Deux mondes se contemplent en silence et se font face)

-Wesh, quoi, bizarre, d’avoir un nouveau téléphone ? »

(Un corbeau passe au-dessus de la tête de Kebab comme dans les mangas)

La communication est pas évidente. On arrivait limite mieux à parler avec Jean-Baptiste qui a pourtant dû nous décrocher une dizaine de phrases en cinq ans. Au grand maximum. Et pourtant cette nouvelle génération est ancrée dans l’ère de la communication. Dès dix ans, les gamins commencent à maitriser tout l’aspect communautaire du téléphone portable et du net. Les textos échangés en forfait illimités jusqu’au petit matin, les gamins de douze ans qui se retrouvent avec 225 amis sur facebook, les conversations par murs interposés en message texto kikoolol salu sava b1 ? Moi, j’ai eu mon premier téléphone portable au lycée et j’ai commencé à découvrir le monde magique d’internet encore plus tard. Crévindiou, le temps passe vite. Et dire que d’autres ont connu la couture, les rutabagas et les missiles qui te tombent sur la tête. Les écarts générationnels se creusent si vite, c’est fou quand on se penche sur le sujet. Malgré tout, le temps est toujours notre meilleur allié et on a commencé tout doucement à s’habituer à la présence de Marine, sa crinière blonde nous semble désormais plus familière. Le voyage en Belgique nous a permis de prendre une certaine distance sur les évènements, gloire à la paisible maison dans le plat pays. Marine est toujours le même tourbillon de paroles qui remue toute la petite demeure familiale, mais elle commence à faire partie des murs. Ses discussions à table deviennent routinières. Marine nous raconte ses frasques au collège, je souhaite bien du courage à ses profs. Elle s’interroge aussi sur les grandes questions métaphysiques de la vie entre un gratin de courgettes et le dessert, elle est bizarrement assez profonde à sa manière. Alors quand elle lance des grandes interrogations sur la vie et la mort, on reste tous un peu bêtes et un silence gêné règne alors dans la pièce. Même la télé qui gueule le générique de Plus Belle La Vie se tait quelques instants. Comme dirait Marine : « Fraingchemeng la moreuh c’est trop injuste t’as vu » elle a pas tort c’est sûr.

Le pire c’est que son parler so glamour est communicatif et que ma soeur – douze ans aussi – prend les mêmes intonations et tous ses horribles tics de langage. Le phénomène de mimétisme est terrible à cet âge. L’été dernier, ma soeur était une gamine tout à fait classique, c’était une gentille petite fille qui parlait de façon précieuse en utilisant des mots que les enfants de son âge ne connaissaient même pas. Elle jouait dans le jardin avec mon petit frère et plantait des trucs imaginaires dans la terre avec un vieil outil de jardin.  Mercredi dernier, on est rentrés à la maison. Dans la voiture, ma soeur me parlait d’une drôle de façon. J’avais l’impression de voir le clone de Marine en face de moi. Un peu comme dans ces séries télévisées où le bad guy a réussi à prendre l’apparence du héros et se trahit par son élocution particulière. Je sais bien que c’est une passade, qu’on est tous des moutons à cet âge ingrat. Dieu sait aussi que liquider son adolescence peut prendre du temps. Mais je crois que le grand frère que je suis a la trouille de voir sa petite soeur grandir et a peur de la perdre. Merde. Je parle comme ces vieux parents qui radotent sur  l’époque où leur petit enfant tenait dans un seul bras et dormait paisiblement dans un coin de lit. A l’abri sous une chaude couverture.

Mais on ne peut pas rester sous cette agréable protection pour toujours. Il faut sortir et braver le monde. Sarah, Marine, Jean-Baptiste, le Kebab, moi. On déploie nos ailes, tout doucement, et puis on se lance dans le vide sans protection.